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véritable ministre. C’est du moins ce qu’il a fait cette semaine, en prêtant généreusement la salle de l’Opéra à madame Dorval, et en mettant ses danseuses à la disposition de cette grande actrice. La représentation de madame Dorval n’a pas été aussi fructueuse qu’elle devait l’être. L’attrait de voir un acte de la Phèdre de Pradon n’avait pas été assez grand pour le public, et le proverbe que nous publions aujourd’hui, tout fin, tout philosophique et spirituel qu’il soit, ne suffisait pas pour remplir la vaste scène de l’Opéra. On ne peut se figurer la finesse et la grâce que madame Dorval a répandues dans le rôle de la jeune duchesse, cette innocente coupable dont elle a rendu si parfaitement la candeur et la mélancolie. Dans le mauvais acte de la Phèdre de Pradon, madame Dorval a prouvé que sa place est au Théâtre Français.

Un incident au moins singulier a failli ravir à madame Dorval les fruits de cette représentation. Quelques heures avant qu’elle parût sur la scène, le directeur de la Porte Saint-Martin, qui avait donné depuis long-temps son consentement, a refusé l’autorisation écrite de laisser jouer madame Dorval à l’Opéra. Or, tout l’attrait de cette représentation reposait sur elle. L’embarras était grand, le trait bien noir, et le remède bien difficile à trouver. On sait quelle influence mademoiselle Georges exerce au théâtre de la porte Saint-Martin, dont elle est en quelque sorte la directrice ; influence si puissante, que madame Dorval est réduite à ne jouer jamais que des rôles médiocres, et à ne paraître que dans des ouvrages dont on n’espère pas le succès. Il était difficile de méconnaître la main d’où partait le coup. Peut-être aussi était-ce un reste de cette vieille rivalité qui s’était allumée, il y a vingt-cinq ans, entre mademoiselle Georges et mademoiselle Duchesnois ; car mademoiselle Duchesnois devait jouer aussi ce soir-là, au bénéfice de madame Dorval, le rôle de Phèdre de Racine. Quoi qu’il en soit, les deux Phèdres eussent été fort embarrassées, si un homme d’esprit, dont la plume est aussi vive que l’épée, ne se fût présenté devant M. le directeur de la Porte Saint-Martin, une boîte de pistolets à la main, et ne lui laissant que l’alternative de tenir sa parole, ou de venir la rompre, comme faisait Napoléon, sur le champ de bataille. Cette conférence s’est terminée comme celle de Tilsitt, et l’on s’est arrangé à l’amiable, en se promettant tout bas de rompre à la première circonstance.

M. le directeur de la Porte Saint-Martin devait cependant quelque reconnaissance à madame Dorval, qui avait joué, quelques jours auparavant, le rôle de Beatrix Cenci, dans la tragédie de ce nom, de M. le marquis de Custine. M. de Custine est un de ces poètes rares qui pensent que l’honneur d’être représenté en public, ne peut être trop payé. On porte,