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LETTRES SUR L’INDE.

Ma chère belle, tu n’en sauras donc pas davantage ; car il ne faut pas déserrer tous les doigts, même avec sa sœur.

Je terminerai ma lettre en t’apprenant qu’on fait à Dacca d’excellent fromage et du savon passable. Ce sont là ses deux principales richesses, car on n’y fabrique presque plus de ces étoffes si estimées autrefois avant que nous en fissions de meilleures, et le Tandi-Bazar ou marché des tisserands est le plus désert de tous.


1er  septembre, sur le Barampouter.


Je suis depuis trois jours sur l’un des plus grands fleuves du monde, et je vais le quitter pour entrer dans une rivière nommée Megna, sans avoir rien vu de ce que j’en avais lu, et surtout de ce qu’on m’en avait dit. Je devais être à tout instant sur des bancs mouvans à fleur d’eau ; mon bazarra devait faire cent pirouettes au milieu de tourbillons rapides ; j’avais à craindre la rencontre des arbres déracinés et entraînés par le courant, ensuite des coups de vent qui viennent comme la foudre, puis des ondées si abondantes qu’elles obscurcissent complètement les airs, etc. Eh bien ! tout cela s’est trouvé faux. Nous avons eu du vent et de la pluie ; mais je n’ai couru aucun danger, et me voici sain et sauf en dépit des récits de mes confrères les voyageurs. Avant de quitter ce fleuve célèbre, je t’en dirai le peu que je sais. Les sources du Barampouter ont été aussi long-temps inconnues que celles du Gange. Les révérends pères Tiefentaler, Philippe de la Trinité, du Halde, et une foule d’autres révérends, n’ont jamais été d’accord à ce sujet avec d’Anville, qui ne l’était pas avec Rennell. Les uns plaçaient ces sources dans le royaume d’Assam, les autres dans les gorges du Boutan. Plus anciennement ce fleuve sortait du paradis comme le Tigre et l’Euphrate. C’est tout au plus si l’on s’accordait sur son nom, car les uns l’appelaient Tsampou, les autres Barampouter ; et quoiqu’on en parle depuis deux mille ans, quoique les chrétiens y fassent du commerce et des conversions depuis trois siècles, il y a peu de temps qu’on a découvert qu’il prend sa source au Thibet, ainsi que le Gange. De l’aveu des Anglais, le premier qui parla rai-