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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/646

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REVUE DES DEUX MONDES.

noux à la voix de son empereur ; elles décimaient une armée victorieuse ; elles planaient sur les plus nobles martyrs qu’ait jamais comptés la liberté ; on les voyait surgir subitement, tantôt au sein de quelque peuple, ignorant des agitations politiques et vivant aussi paisiblement qu’avaient vécu ses aïeux, ou bien encore au sein de quelque autre peuple, tout bouillonnant de l’ardeur fiévreuse des révolutions. Mais partout c’étaient les mêmes misères, partout c’étaient les mêmes désolations. Le personnage invisible et terrible autour duquel se déroulait ce drame sanglant, foulait toutes ces nations de langues, de caractères, de mœurs, de croyances si diverses, d’un pied également dédaigneux, également meurtrier.

Ma pensée s’assombrissait de plus en plus. De lugubres spectacles, évoqués par elle, surgissaient çà et là de l’abîme du passé. La solitude où je me trouvais s’en était comme peuplée tout à coup. Au bruit confus d’un gémissement prolongé, à une longue traînée de morts et de mourans, il me semblait suivre la fameuse peste noire qui, partie des environs de la grande muraille, traversa l’Asie Mineure, la Grèce, la Syrie, l’Égypte, l’Italie, s’abattit longuement sur la France d’où elle se releva pour aller visiter l’Angleterre, désolant, dépeuplant par conséquent une immense partie du globe. Je vis l’Allemagne encore humide du sang versé pendant la guerre de trente ans, dévastée par une autre peste aussi terrible. Au dire des chroniqueurs, celle-ci, à l’instar de la foudre, mais plus redoutable, marchait enveloppée dans un sombre nuage. La nuée meurtrière s’abattant sur une ville, en dévorait en trois jours le tiers des habitans ; puis elle se dissipait aussi rapidement qu’elle était apparue. Sous le beau ciel de la Provence, le même fléau se montrait sous des apparences différentes. Là l’air ne cessa pas d’être doux et chaud, le ciel d’être pur, la mer d’être bleuâtre, et le soleil d’étinceler ; les brises du soir n’en arrivèrent pas moins à Marseille, toutes chargées de fraîcheur et de parfums ; et cependant une grande solitude se fit peu à peu dans les rues de cette ville, naguère si riante, si animée. La mortalité s’y accrut si rapidement, qu’en peu de jours les cimetières devinrent trop étroits pour le nombre des cadavres. En peu de semaines, la terre en fut comme rassasiée ; et comme dès-lors les forces commencèrent aussi à man-