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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/650

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REVUE DES DEUX MONDES.

sainte ! Le génie d’un grand homme arrache à l’océan un monde qu’il cachait depuis des siècles aux yeux de l’Européen ; mais ce monde semble disparaître presqu’au même instant, avec ses antiques civilisations à jamais détruites, dans le sang dont l’inondent ses conquérans. Mille autres guerres plus obscures n’en naissent pas moins contemporaines de ces guerres sanglantes, ou bien leur succèdent. Le plus mince intérêt les excite, les multiplie, les éternise ; il suffit des plus médiocres génies et des plus vulgaires ambitions pour y précipiter d’innombrables populations, et c’est ainsi avec grande raison qu’après avoir tracé lui-même un tableau semblable, M. de Maistre finit par s’écrier qu’on ne saurait fixer, depuis l’origine des âges, un instant, un seul instant où le sang humain n’ait pas coulé sous la main de l’homme.

À ce point de vue, n’est-on pas tenté de se demander si l’homme n’est pas placé sur la terre uniquement pour donner et recevoir une mort inévitable, ainsi que ces esclaves que la superbe et dédaigneuse férocité de Rome se plaisait à jeter dans le cirque ? Mais que dis-je ? Descendant dans ce cirque funeste, ceux-ci savaient du moins à qui adresser les funèbres paroles qui, après deux mille ans, portent encore l’effroi dans nos âmes : « César, ceux qui vont mourir te saluent. » Renversés sur la poussière, implorant vainement la pitié, ils voyaient le geste homicide par lequel leurs prières étaient repoussées ; ils entendaient les bruyantes acclamations du peuple, dont leur sang qui coulait faisait les délices. L’homme, au contraire, dans l’arène immense où il a été jeté, chercherait vainement à qui adresser son lugubre salut. Il ne voit pas les yeux qui se repaissent de son supplice ; il n’entend pas les cris de ceux qui s’en réjouissent ; il subit une sentence qui ne lui a pas été signifiée ; on le voit puni d’un crime qu’il ignore, par une main qui demeure cachée, dans un but qui lui est inconnu. La seule chose qu’il sache, c’est qu’il vient arroser de son sang, inonder de ses sueurs la terre couverte de la cendre et des ossemens de ceux qui l’ont précédé. Quant à la moisson qui a besoin de cette sanglante rosée pour sortir de terre, nul ne saurait l’apercevoir. Le mystère de la destinée humaine repose au fond d’une impénétrable obscurité. À l’aide d’ingénieux instrumens, l’homme va chercher des mondes comme perdus pour lui au sein de l’immensité sans limites. Il voit l’insecte