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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/659

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LE CHOLÉRA.

du sombre et lugubre tableau que j’envisageais d’abord, il se dégagea peu à peu un autre tableau, propre au contraire à charmer la pensée. Ces deux ordres de choses se mêlaient en ce moment, se confondaient dans mon esprit. Pendant long-temps, je ne pus toutefois saisir ni le lien caché qui les attachait de la sorte l’un à l’autre sur la surface de la terre, ni la cause merveilleuse qui engendrait l’une de l’autre des choses tellement contraires. Mais vint un moment où cessant, ainsi que je l’avais fait jusqu’alors, de considérer l’homme sur le théâtre du monde extérieur, je jetai un nouveau coup-d’œil sur les mystères de sa nature intime, et je me sentis dès-lors éclairé comme par une lumière jaillie subitement du fond de l’abîme. Le mot de l’obscure énigme de la destinée terrestre de l’homme me fut tout à coup donné. Je crus le lire dans cette même duplicité de son être, qui, de tous les mystères de sa nature, m’avait naguère paru le plus incompréhensible ; mais qui, loin de là, se montrait alors à moi comme l’harmonieuse et unique cause de l’étrange contraste qui me préoccupait : car, me disais-je, si l’homme se trouvait contenu tout entier dans sa nature matérielle et périssable, ne vivant que de sa vie organique, on le verrait, ainsi que l’animal, succomber tout entier sous le mal extérieur ; l’homme moral ne s’élèverait pas de plus en plus au milieu de nos misères et de nos calamités, et, pour ainsi dire, sur les ruines, les débris de l’homme matériel. Si, d’un autre côté, l’homme ne vivait, au contraire, que par les côtés nobles, élevés, en quelque sorte angéliques de sa nature, il ne donnerait aucune prise à la douleur et aux maux physiques. Il planerait au-dessus d’eux ; il serait ange en un mot, non homme. Au lieu de cela, étant bien vraiment ce qu’il est, c’est-à-dire un être double et compliqué, un être immortel, obligé de vivre de la vie du temps, emprisonné dans une fragile et terrestre enveloppe, la tradition, la philosophie ou la révélation se trouvent d’accord pour nous enseigner la nécessité des maux et de la douleur, pour le perfectionnement ou le développement de notre nature morale, de l’être impérissable que nous recelons.

Qu’est-ce, au fait, que notre apparition terrestre, notre manifestation dans le temps ? Est-ce la première scène, le premier acte du grand drame de notre existence ? N’est-ce au contraire que l’expiation d’une existence antérieure ? Ne serait-ce encore qu’une initia-