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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/704

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’après une charte qu’on venait de retrouver, Aubert prit la parole d’un air indifférent : «  À propos de découvertes historiques, dit-il, vous saurez que j’en ai fait une la semaine passée ; j’ai trouvé, dans un vieux livre tout vermoulu, qu’un certain Auberti, noble de Florence, fut exilé le même jour et par les mêmes juges que Dante, le fameux poète. C’était un fier gibelin que cet Auberti, plus gibelin que Dante lui-même ; car, ne pouvant supporter l’Italie où l’empire avait des ennemis, il vint à Genève, ville toute impériale, comme le dit si judicieusement M. le professeur ; bref, il s’établit ici, et c’est de lui que nous descendons. »

— Vraiment, murmurèrent à la fois quelques personnes, les unes par ironie, les autres par la seule impression de cette nouvelle inattendue.

— Mais, oui, répliqua Joseph ; et puisque la prononciation génevoise a retranché une lettre à mon nom, je crois que je ferais bien de la reprendre, par respect pour mes ancêtres.

Tout le monde garda le silence, et il y eut quelques mouvemens de tête en signe d’assentiment. Dès le lendemain, le nom d’Auberti fut mis en circulation par tous ceux dont l’intérêt était de plaire à l’auteur de la découverte ; peu à peu le nombre des croyans ou des complaisans s’accrut dans la ville, et une sorte de balancement s’établit entre le nom connu et le nom rectifié. De deux personnes qui arrivaient en même temps, l’une disait : « Je vous salue, M. Aubert ; » et l’autre : « M. Auberti, je vous présente mes respects. » Enfin, au bout de quelques années, Auberti sembla prévaloir et passer en habitude.

Dans cet état des choses, Joseph perdit son frère aîné, Pierre Aubert, qui n’avait fait aucun cas pour lui-même de la découverte historique ; veuf depuis long-temps, il laissait une fille unique, appelée Sophie, et à peine âgée de seize ans. Les dernières volontés de son père étaient qu’elle fût conduite à Genève, et mise sous la tutelle, de son oncle. Ce voyage eut lieu ; et après avoir reçu les embrassemens d’un parent qu’elle n’avait jamais vu, Sophie prit possession d’une jolie chambre, dont la vue s’étendait sur le lac de Genève et sur les campagnes qui le bordent. Restée seule, elle parcourut des yeux tout ce qui l’entourait, avec une expression de contentement ; mais aussitôt sa physionomie changea : « Tout est