agréable dans cette maison, dit-elle tristement ; mais pas un souvenir de mon pauvre père, pas même son nom, car on en donne un autre à mon oncle ! L’heure du dîner sonna ; M. Auberti, en revoyant sa nièce, lui trouva les yeux un peu rouges : Ma chère enfant, lui dit-il avec bonté, remettez-vous, et soyez sûre que vous avez en moi un second père. » Sophie fut touchée de cette marque de tendresse, et n’eut pas le courage de faire une seule question sur le changement de nom qui l’avait frappée d’une manière si pénible.
Deux jours après, elle fut invitée à une réunion, où, pour sa bien-venue, la maîtresse de maison avait rassemblé une partie des jeunes personnes les plus aimables de la ville. À son entrée dans le salon, on annonça M. Auberti et mademoiselle sa nièce ; quelques voix chuchotèrent qu’elle se nommait Sophie. Durant cette soirée, les personnes qui lui adressaient la parole dirent tantôt mademoiselle Sophie, et tantôt mademoiselle ; elle répondait fort gaîment, et paraissait tout heureuse de l’accueil qu’on lui faisait. Mais, vers dix heures, une des jeunes filles se mit à dire : — Mesdemoiselles, est-ce que nous nous retirerons sans avoir fait un peu de musique ? Le clavecin est ouvert avec un joli morceau de Piccini. Prions mademoiselle Auberti de vouloir bien nous donner l’exemple.
— Très volontiers, mademoiselle, répliqua Sophie avec plus de vivacité que l’usage ne le comportait ; mais, je vous en prie, appelez-moi Aubert : c’est le nom que portait mon père, et je n’y ai pas renoncé.
Après ces mots remarquablement positifs, il y eut un moment de silence ; puis on se remit, on fit de la musique, et ce petit incident parut oublié. Une seule personne demeura fort troublée, sans cependant laisser apercevoir l’émotion désagréable qu’elle éprouvait ; c’était le tuteur de Sophie. Ce trait imprévu de caractère menaçait de ruiner toutes ses prétentions au rang des Calandrini, des Turquini, et des autres familles en i, qui formaient, pour ainsi dire, le sommet de la société genevoise. En effet, quel moyen y avait-il de rester Auberti, avec une nièce obstinément résolue à porter le nom d’Aubert ? La chose semblait impossible. Il y pensa toute la nuit, et le lendemain au déjeuner, tête à tête avec Sophie :