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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/720

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REVUE DES DEUX MONDES.

Lorsqu’on eut pris place autour d’une table richement décorée, madame Necker parcourut d’un regard le cercle des convives ; arrêtant ses yeux sur les deux académiciens Marmontel et Thomas, qui étaient depuis long-temps dans l’intimité de la maison : « Messieurs, dit-elle, soyons aimables ! » Thomas fit un signe de tête, et Marmontel répondit : « Vous savez, madame, que l’esprit est capricieux ; il vient de lui-même, et dès qu’on le brusque, il s’échappe. »

— Oh ! je ne crains rien, répliqua madame Necker, il ne s’échappera pas d’ici ; car il a fait un pacte avec l’auteur des Contes moraux. Puis, s’adressant au marquis de Pezay, qui avait, plus que personne, le privilège de distraire le ministre dans ses instans de mauvaise humeur : — Monsieur de Pezay, dit-elle, avez-vous quelques nouvelles chansons ?

— Ma foi, madame, répondit le marquis, je n’ai plus le loisir d’en faire. Il y a par le monde certains charlatans soi-disant économistes, qui me donnent trop d’occupation. Ce n’est pas que je me rompe la tête à scruter les profondeurs de leur science occulte ; je m’en tiens au titre qu’ils lui donnent : Économie, et je déclare, sans hésiter, qu’il y a là économie de sens commun. Je pourrais n’en pas dire davantage ; mais comme ces messieurs ont fait quelques dupes, qu’ils se donnent pour hommes d’état, et qu’une fois déjà on les a crus sur parole, je veux rendre service au public en lui parlant d’eux.

— Monsieur le marquis, dit d’Alembert, dont la voix, encore puis aigre que de coutume, trahissait une colère contenue, monsieur le marquis, il serait généreux de laisser en repos ceux qui ne sont plus en faveur : qu’ils se soient trompés, cela se peut, et permis à chacun d’avoir là-dessus son avis ; mais leurs bonnes intentions étaient incontestables.

— Pour vous, monsieur, reprit le marquis de Pezay, dites pour vous ; car moi je leur conteste deux choses : le bon sens et la bonne foi. Cette science du produit net dont le produit net est la famine, cette liberté du commerce qui devient, sous leur direction, la liberté du pillage, si ce ne sont pas là de pures jongleries, je ne m’y connais plus.

D’Alembert donna un signe d’impatience ; mais l’homme de cour, qui avait une égale dose d’étourderie et de présomption, n’en con-