Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

mérite de commencer le mouvement qu’ils ont continué. Si l’ami de madame du Chatelet avait pu prendre sur lui de restreindre sa dévorante activité dans un cercle plus étroit, si le polémiste ardent qui se dévouait à toutes les idées nouvelles, et qui s’acharnait au triomphe de la civilisation, comme s’il se fût agi d’une cause toute personnelle, avait pu se résigner à n’embrasser, dans le champ de la pensée humaine, que le terrein qui convenait à son génie, l’histoire ou la philosophie par exemple, qui oserait affirmer qu’il n’eût pas dépassé de bien loin Hume et Robertson ?

Je reviens à Mackenzie. Cette rapide esquisse de sa vie suffit à montrer, comme je l’ai dit en commençant, qu’il a trouvé la gloire plutôt qu’il ne l’a cherchée ; qu’il a rencontré la fortune littéraire, sans jamais courir sérieusement les chances d’une mésaventure. Il n’a pas abdiqué ses goûts, il a su se ménager des loisirs pour les satisfaire ; mais il n’a pas sacrifié à des succès douteux le bonheur qu’il avait sous la main : de cette sorte, on le conçoit, il n’a pas multiplié ses œuvres, mais il les a long-temps nourries et méditées avant de les produire sous une forme décisive. Il s’est toujours proposé la poésie pour elle-même ; il n’a pas connu l’industrie littéraire.

Sa triple tentative dans la poésie dramatique compte à peine dans la biographie de sa pensée. Il ne paraît pas qu’il ait songé à réparer son échec. Son talent, révélé en plein dans les trois romans que nous avons nommés, manquait d’une condition essentielle pour réussir à la scène ; l’esprit de Mackenzie préférait constamment le spectacle mystérieux de la conscience au spectacle bruyant de la vie extérieure ; il aurait difficilement consenti à supprimer les traits délicats aperçus par la réflexion, pour se placer au point de vue impérieusement exigé par l’optique du théâtre. Sa pensée n’était pas assez en dehors pour atteindre d’un seul coup les deux mille intelligences d’un auditoire.

Je crois donc qu’il a bien fait de ne pas pousser plus loin une lutte engagée à l’étourdie et qui ne convenait pas à ses forces. The Spanish father, le plus remarquable de ces trois essais, ne manque pas seulement d’animation et de rapidité dans la construction de la fable et l’enchaînement des scènes ; mais les caractères, pris en