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eux-mêmes, n’ont pas assez de réalité pour comparaître impunément en chair et en os. Et puis il s’élève contre cette tragédie un reproche plus grave que toutes ces chicanes de second ordre. Il a choisi dans les romances espagnoles un admirable épisode, la séduction, la fuite et le meurtre de la Cava, et, au lieu d’accepter sans réserve, sans pruderie et sans contrainte, ce qu’il y avait de local, de grand et de singulier dans cette épopée du huitième siècle, il s’est mis à l’ébarber, à lui ôter successivement son âge, son costume, sa physionomie, et jusqu’à la couleur de ses yeux. Il y a bien, je l’avoue, dans cette tragédie injouable, plusieurs beautés éternelles qui ne sont ni d’aucun temps, ni d’aucun lieu. Mais cela ne suffit pas, surtout lorsqu’il s’agit du passé. Je conçois à merveille que le poète qui s’en prend à son temps, qui choisit autour de lui les acteurs, le costume et le sujet de son poème, néglige volontairement le caractère historique et local, et s’en tienne à-peu-près à la vérité absolue des sentimens. Mais quand on recule jusqu’aux premières années du huitième siècle, il faut se résigner à vieillir ; autrement le voyage est inutile.

Et je ne serais pas éloigné de croire que l’étude attentive des hommes et des choses de la vie quotidienne et familière s’oppose très souvent à la patience des investigations archéologiques et à la vivante reproduction des temps qui ne sont plus. Sans doute, cette incompatibilité que je signale est loin d’être constante et fatale. Mais je ne suis pas sûr que Molière, habitué aux marquis et aux précieuses de 1660, eût jamais réussi à peindre la cour de Charlemagne ou de Louis xi ; et pourtant il y a dans Tartufe et le Misanthrope tous les élémens du drame sérieux. Si Corneille, rompu aux mœurs romaines, eût été prié de créer Alceste ou Célimène, je pense qu’il se fût récusé ; et il aurait bien fait.

Bien que le génie de Mackenzie préfère, à l’habitude, les caractères sérieux, les idées graves, et tienne peu de compte du côté comique de l’humanité, cependant, dans les deux recueils périodiques qu’il a dirigés, il a tracé plusieurs portraits devenus célèbres à juste titre. Le colonel Caustic et Umfraville sont encore cités aujourd’hui comme des types exquis du caractère baptisé par le poète latin, laudator temporis acti.

Je n’ai rien à dire du Traité sur les Actes du parlement de 1784.