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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

On devine bien qu’il ne renferme pas la satire du gouvernement. Un livre corrigé de la main du premier ministre n’est pas suspect de radicalisme. D’ailleurs, Mackenzie n’a jamais eu de passions politiques. Il vivait au milieu du monde, mais ne désirait aucun rôle actif dans les affaires.

Les amis nombreux qu’il a laissés, et qui jouissaient de sa conversation avec une sorte de convoitise, ont été unanimes dans leurs regrets. Tous ont déploré la perte irréparable des anecdotes variées à l’infini que Mackenzie racontait avec un charme si entraînant, et qui maintenant ne trouveront plus d’historien aussi digne que lui de les recueillir et de les fixer. Plusieurs fois le biographe de John Home avait été prié instamment de placer dans un cadre plus vaste les trésors de sa mémoire. Les hommes les plus éminens avaient insisté auprès de lui pour qu’il entreprît une véritable histoire littéraire de son temps. Sans doute, il eût apporté dans ce travail des qualités précieuses. Nous aurions eu sur la seconde moitié du dix-huitième siècle un livre où la critique sociale aurait tenu autant de place que la critique philosophique ou poétique, un livre qui fût devenu plus familier aux hommes du monde qu’aux gradués des universités. Mais, partagé entre les devoirs de sa profession et les distractions inévitables de ses amitiés, Mackenzie ne s’est jamais rendu à ces instances.

Les romans de Mackenzie ont été traduits chez nous il y a quelques années, et n’ont cependant obtenu qu’un médiocre succès. Pour ceux qui connaissent et qui apprécient le mérite particulier qui les distingue, la chose est toute simple. Mackenzie n’est pas seulement un inventeur du premier ordre, un psychologiste profond, un observateur attentif, un peintre fidèle des sentimens les plus délicats et les plus fins ; c’est aussi un prosateur serré, un écrivain concis, qui résume et condense en peu de mots une pensée complexe, qui ne livre au hasard de sa plume aucune phrase flottante et indécise. Il n’est pas seulement poète, il est styliste. Or, la traduction que nous avons, bien que faite avec un soin très suffisant en d’autres occasions, est loin de reproduire la valeur, la netteté, la contenance du style de Mackenzie. Il n’en faut pas conclure un blâme sévère pour le traducteur, mais seulement l’éloge de l’inviolabilité originale. La première plume venue trouve sa route au