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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/228

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REVUE DES DEUX MONDES.

tête étroite, inflexible, qui, par mille petites vexations de chaque instant, lui rend la maison paternelle un séjour insupportable. De là des scènes horribles, où, dans un moment d’égarement, Eustache Raparlier lève la main sur le vieillard, qui le chasse de chez lui en lui donnant sa malédiction. Là cesse l’intérêt qui s’attache à ce jeune homme placé dans de si déplorables circonstances : les aventures d’Eustache, lancé seul dans le monde, sont si vulgaires et si dénuées de piquant, que nous nous dispenserons de le suivre jusqu’au moment où il devient, moitié par faiblesse, moitié par une espèce de rage sourde contre la société en général, juré d’un tribunal révolutionnaire, et condamne son père à mort. Ici M. Berthoud a essayé de peindre la terreur telle qu’elle était en province, aussi atroce qu’à Paris, mais en même temps dépourvue de cette sombre grandeur que lui imprimaient sur ce vaste théâtre les chefs qui l’avaient décrétée. Cette tâche s’est trouvée au-dessus de ses forces ; il fallait creuser plus avant qu’il ne l’a fait, ou s’abstenir de porter la main sur une pareille époque. En somme, le heurté des évènemens, plutôt juxta-posés qu’unis entre eux, le style diffus et parfois incorrect, accusent le peu de réflexion qui a procédé à l’exécution de ce livre.

Les productions de M. E. Corbière sont trop évidemment destinées à un public spécial, pour qu’il soit loyal de le traiter en auteur ordinaire. M. Corbière ne vise nullement à conquérir les suffrages de quiconque est étranger à la marine royale ou marchande. Le théâtre de sa gloire est un poste d’aspirans ; ses lauriers sentent le goudron, et je ne serais pas étonné d’apprendre que le gaillard d’avant le tient pour un homme de génie. M. Corbière ira loin, et c’est sans doute parce qu’il est sûr de son affaire qu’il tient si peu de compte des avis que la critique ne lui a pas épargnés. Il est par conséquent inutile de lui répéter, à propos de ses Contes de bord, ce qu’il a déjà maintes fois entendu sur ses précédens ouvrages. Laissons le pécheur endurci mourir dans l’impénitence finale.

Une suite d’articles écrits de Paris, en 1831 et 1832, par Henri Heine, pour la Gazette d’Augsbourg, vient d’être traduite et publiée sous le titre de : La France[1]. Ce recueil achèvera de rendre populaire parmi nous le nom du jeune écrivain, le plus brillant peut-être de la nouvelle école qui chaque jour grandit dans la rêveuse et métaphysique Allemagne. Croyances naïves, convictions religieuses, vagues rêveries, doutes vaporeux, science ténébreuse, pouvoirs de toute espèce, cette école attaque tout à la fois avec la même ardeur que le fit parmi nous le dix-huitième

  1. Chez Delaunay