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REVUE. — CHRONIQUE.

doute à la bouche, sans appréhensions et sans espoir. L’ouvrage a moins de portée que cette rapide esquisse ne pourrait le faire supposer ; l’hésitation dans l’exécution décèle souvent l’écrivain à son premier essai : Falkland est plutôt ébauché que peint d’une manière ferme et complète, et l’on comprend que M. Bulwer n’ait pas appelé du jugement porté par le public lors de son apparition. Mais, sans vouloir donner trop d’importance à l’étude d’une série de romans sous le rapport littéraire, il n’est pas sans intérêt de chercher à connaître jusqu’à quel point celui en question annonçait ceux qui l’ont suivi. Si, au lieu de débuter dans le roman par Waverley, Walter Scott n’eût enfanté qu’une œuvre médiocre, les hommes pour qui la littérature est autre chose qu’un vain plaisir, ne seraient pas moins tenus de la lire. Or, sans être Walter Scott, M. Bulwer est un écrivain d’un grand mérite ; et, comme tel, digne d’être étudié dans l’ensemble de ses compositions.

Nous préférons cependant à Falkland un autre roman également traduit de l’anglais dont l’auteur nous est inconnu, et dont la traduction est l’ouvrage d’une jeune femme enlevée récemment à sa famille, à ce que nous apprend une courte préface de l’éditeur. Cette destinée nous a ému, et nous sommes heureux de n’avoir qu’à applaudir au bon goût de celle qui avait consacré ses heures de loisirs, peut-être des heures de repos entre deux souffrances, à nous faire connaître Réalité et Apparence ou les deux éducations[1]. Ce livre est sans aucun doute l’ouvrage d’une femme ; souvent il nous a rappelé les meilleures pages de mistriss Burney ou mistriss Opie ; tout en est naturel, vif, animé ; le style offre les mêmes qualités, et se prête avec bonheur aux scènes les plus calmes, comme aux paroxysmes les plus terribles de la passion. Le sujet lui-même renferme une leçon élevée de morale. Deux enfans, deux jumelles, filles d’un pêcheur des environs de Brighton, et encore dans l’enfance, perdent le même jour leurs parens par un naufrage. Elles trouvent chacune une protectrice dans leur malheur, mais d’un caractère bien différent ; l’une tombe entre les mains d’une femme accomplie, qui la rend semblable à elle-même ; l’autre est recueillie ou, pour mieux dire, enlevée de la manière la plus théâtrale par une folle dont les romans ont tourné la tête, aussi légère dans sa conduite que ridicule dans son langage, et ne tenant compte que des qualités extérieures nécessaires pour réussir dans un certain monde. On prévoit facilement le résultat de deux éducations aussi opposées. Après de longs évènemens que nous supprimons à regret, les deux sœurs se retrouvent et leur reconnaissance amène le dénouement. La seconde,

  1. Chez Delaunay.