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si complexes et si mystérieuses, que toujours, en cherchant bien, quelque composé nouveau vient déjouer nos formules et troubler nos méthodiques arrangemens ; c’est une fleur, une plante qui ne rentre pas dans les familles décrites ; c’est un poète que nos poétiques n’admettaient pas. Le jour où l’on comprend enfin ce poète, cette fleur de plus, où elle existe pour nous dans le monde environnant, où l’on saisit sa convenance, son harmonie avec les choses, sa beauté que l’inattention légère ou je ne sais quelle prévention nous avait voilée jusque-là, ce jour est doux et fructueux ; ce n’est pas un jour perdu entre nos jours ; ce qui s’étend ainsi de notre part en estime mieux distribuée, n’est pas nécessairement ravi pour cela à ce que les admirations anciennes ont de supérieur et d’inaccessible. Les statues qu’on adorait ne sont pas moins hautes, parce que des rosiers qui embaument et des touffes épanouies dont l’odeur fait rêver, nous en déroberont la base.

Depuis trois années le champ de la poésie est libre d’écoles ; celles qui s’étaient formées plus ou moins naturellement sous la restauration ayant pris fin, il ne s’en est pas reformé d’autres, et l’on ne voit pas que, dans ces trois ans, le champ soit devenu moins fertile, ni qu’au milieu de tant de distractions puissantes les belles et douces œuvres aient moins sûrement cheminé vers leur public choisi, bien qu’avec moins d’éclat peut-être et de bruit alentour. Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencemens lyriques où un groupe uni de poètes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorans, emportions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Riouffe de sa nuit passée avec les Girondins (car les sentimens réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthousiasme qu’elle y a semé) ; nous donc, qui avons eu surtout à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique