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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/249

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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

de l’époque. Dans cette jeune école, en effet, au sein de laquelle fut un moment le centre actif de la poésie d’alors, il y avait des exclusions et des absences qui devaient embarrasser. En fait de hauts talens, Lamartine n’en était que parce qu’on l’y introduisait religieusement en effigie ; Béranger n’en était pas. En fait de charmantes Muses, on n’y rattachait qu’à peine Mme Tastu, on y oubliait trop Mme Valmore. M. Mérimée serait toujours demeuré à côté ; M. Alexandre Dumas avait pris rang plus au large. D’autres encore allaient surgir. Enfin, parmi ceux qui étaient jusque-là du groupe, les plus forts n’en auraient bientôt plus été, par le progrès même de la marche ; ils s’y sentaient à la gêne en avançant ; plus d’un méditait déjà son évasion de cette nef trop étroite, son éruption de ce cheval de Troie. Le flot politique vint donc très à propos pour couvrir l’instant de séparation et délier ce qui déjà s’écartait. On a demandé quelquefois si ce qu’on appelait romantisme en 1828, avait finalement triomphé, ou si, la tempête de juillet survenant, il n’y avait eu de victoire littéraire pour personne ? Voici comment on peut se figurer l’événement selon moi. Au moment où ce navire Argo qui portait les poètes, après maint effort, maint combat durant la traversée contre les prames et pataches classiques qui encombraient les mers et en gardaient le monopole, — au moment où ce beau navire fut en vue de terre, l’équipage avait cessé d’être parfaitement d’accord ; l’expédition semblait sur le point de réussir, mais on n’apercevait guère en face de lieu de débarquement ; les principaux ouvraient des avis différens, ou couvaient des arrière-pensées contraires. La vieille flotte classique, radoubée de son mieux, prolongeait à grand’peine des harcèlemens inutiles. On en était là, quand le brusque ouragan de juillet bouleversa tout. Ce qu’il y a de très certain, c’est que le peu de classique qui tenait encore la mer y périt corps et biens ; les récits qu’on a faits depuis, de MM. Viennet et tels autres, qu’on prétend avoir rencontrés et ouïs, ne se rapportent qu’à leurs ombres inhonorées qui se démènent sur le rivage. Quant au navire Argo, tout divin qu’il semblait être, il ne tint pas, mais l’équipage fut sauvé. Je crois bien que deux ou trois des moindres héros se noyèrent avant d’atteindre le rivage ; mais le reste, les plus vaillans, y arrivèrent sans trop d’efforts, la plupart à la nage, et l’un même sans