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tine, elle a dit, toute noyée, comme Ruth, dans ses pleurs reconnaissans :


Je suis l’indigente glaneuse
Qui d’un peu d’épis oubliés
A paré sa gerbe épineuse,
Quand ta charité lumineuse
Verse du blé pur à mes pieds.


Il n’y a qu’un mot à dire du roman qui a pour titre Une raillerie de l’Amour, et que Mme Valmore vient de publier ; c’est une heure et demie de lecture légère et gracieuse, qui reporte avec charme au plus beau temps de l’empire, à cette société éblouie et pleine de fêtes, après Wagram. Les amours étourdis, élégans, et là-dessous profonds peut-être, les jeunes et belles veuves, les pensionnaires à peine écloses d’Écouen et de Saint-Denis, les valeureux colonels de vingt-neuf ans, tout cela y est agréablement touché ; l’exaltation romanesque pour Joséphine, à propos du grand divorce, ajoute un trait et fixe une date à ces bouderies jaseuses. Tout ce petit volume de Mme Valmore est une nuance, et une nuance bien saisie. « À vingt ans, dit-elle en un endroit, la souffrance est une grâce, quand elle n’a pas trop appuyé, et que ses ailes n’ont fait qu’effleurer une belle femme. » Mme Valmore a fait partout comme elle dit là si bien ; elle n’a nulle part trop appuyé.

Mais Mme Valmore poète, celle qui perce et qui déchire, c’est à elle qu’on reviendra ; qui l’a lue une fois, la relira souvent. Il ne nous appartient pas de lui assigner une place parmi les talens de cet âge ; on aime mieux d’ailleurs la goûter en elle-même que la comparer. Son rôle dans la création lui a été donné cruel et simple, toujours souffrir, chanter toujours ! Elle n’y a pas manqué jusqu’ici ; et si, contre l’usage, ses paroles harmonieuses n’ont pas été guérissantes pour elle, elles n’ont pas du moins été inutiles à d’autres ; elles ont aidé dans l’ombre bien des cœurs de femme à pleurer. L’avenir, nous le croyons, ne l’oubliera pas ; tout d’elle ne sera pas sauvé sans doute ; mais dans le recueil définitif des Poetœ minores de ce temps-ci, un charmant volume devra contenir sous son nom quelques idylles, quelques romances, beaucoup d’élégies, toute une gloire modeste et tendre. Ce devra être, même