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LÉLIA.

Quand il devine sur le front de sa bien-aimée un secret irrévélable, qui la met plus haut ou plus bas que lui, qui lui défend de se confier sans réserve, mais qui peut-être la fait rougir ; quand il a vainement essayé de lire dans le pli de sa bouche dédaigneuse, dans son regard clair et paisible, le mystère de ses préoccupations et de ses absences ; quand il s’est vainement demandé pourquoi elle semble alternativement défier l’attention et trembler devant elle, pourquoi elle parle tantôt comme si elle voulait dérouler publiquement toutes les pages de sa conscience, tantôt comme si elle voulait soustraire à la curiosité jalouse toutes les heures de ses journées, toutes les espérances de son cœur, toutes les vanités de sa pensée, alors il tombe dans un étonnement profond, dans une frayeur infinie.

D’une voix entrecoupée par les sanglots et les larmes, il interroge le cœur de celle qu’il a préférée ; il a hâte de savoir d’où elle vient, et où elle va, si elle est en communion avec l’enfer ou avec le ciel, s’il doit la bénir comme l’envoyée de Dieu, ou fuir sa trace comme celle d’un esprit de ténèbres. Pourquoi, s’écrie-t-il, pourquoi n’avez-vous pas prié hier avec nous, pourquoi vos lèvres sont-elles demeurées muettes tandis que les saints cantiques montaient vers le Seigneur ? Pourquoi êtes-vous demeurée debout, tandis que nos fronts étaient courbés dans la poussière ?

Il ne sait pas que le malheur nie Dieu pour ne pas le maudire.

Pourtant, à force de soumission et de constance, il ébranle à la fin la porte du sanctuaire jusque-là fermé à ses plaintes et à ses espérances. Il surprend dans les yeux qu’il vénère à l’égal de la divinité un sourire moins triste et plus indulgent. Il sent sa main frémir sous une timide étreinte ; il croit que le marbre va s’animer sous ses baisers. Déjà ivre d’orgueil et de joie, il remercie Dieu de l’avoir choisi pour le rajeunissement d’une âme grande et désolée. Il est fier de la mission qu’il va remplir. Il oublie toute sa vie passée, pleine de néant et de misère, peuplée de frivoles souvenirs et d’espérances éphémères, il croit sentir qu’il entre dans la durée ; déjà il félicite sa volonté persévérante de la puissance qui vient de lui écheoir. Aveugle insensé ! qui regarde le ciel, et qui n’aperçoit pas l’abîme ouvert sous ses pieds ! Il s’évanouit aux genoux d’une maîtresse adorée, la tête enveloppée dans les tresses