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sions réciproquement des bouffées de fumée au visage, on vint m’annoncer que la voiture m’attendait : il se leva et me reconduisit jusqu’au seuil de la porte. Arrivé là, il me demanda :

— Où allez-fous ?

Je le lui dis.

— Ah ! ah ! continua-t-il, fous allez foir les Chartreux, ce sont tes trôles de corps.

— Pourquoi ?

— Oui, oui, ils manchent tans tes encriers, et ils couchent tans tes armoires.

— Que diable est-ce que cela veut dire ?

— Fous ferrez.

Alors il me donna une poignée de main, me souhaita un pon foiage, et me ferma sa porte. Je n’en pus pas tirer autre chose.

J’allai faire mes adieux à Jacotot en prenant une tasse de chocolat. Quoique je ne fisse pas une grande consommation, Jacotot m’avait pris en respect, parce qu’on lui avait dit que j’étais un auteur : lorsqu’il apprit que je partais, il me demanda si je n’écrirais pas quelque chose sur les eaux d’Aix ; je lui répondis que cela n’était pas probable, mais que cependant c’était possible. Alors il me pria de ne point oublier, dans ce cas, de parler du café dont il était le premier garçon, ce qui ne pourrait manquer de faire grand bien à son maître ; non-seulement je m’y engageai, mais encore je lui promis de le rendre, lui Jacotot, personnellement aussi célèbre que cela me serait possible. Le pauvre garçon devint tout pâle, en apprenant que peut-être son nom serait un jour imprimé dans un livre.

La société que je quittais en m’éloignant d’Aix était un singulier mélange de toutes les positions sociales et de toutes les opinions politiques. Cependant l’aristocratie de naissance, traquée partout, repoussée pied à pied par l’aristocratie d’argent qui lui succède, comme dans un champ fauché pousse une seconde moisson, était là en majorité. C’est dire que le parti carliste était le plus fort.

Après lui, venait immédiatement le parti de la propriété, représenté par de riches marchands de Paris, des négocians de Lyon, et