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ROLLA.

Il viendrait sur ce lit prostituer sa mort ?
Sa mort ! — Ah ! laisse-lui la plus faible pensée
Qu’elle n’est qu’un passage à quelque lieu d’horreur ;
Au plus affreux, qu’importe ? il n’en aura pas peur.
Il la relèvera, la jeune fiancée,
Il la regardera, dans l’espace élancée,
Porter au Dieu vivant la clef d’or de son cœur !

Voilà pourtant ton œuvre, Arouet, voilà l’homme
Tel que tu l’as voulu. — C’est dans ce siècle-ci,
C’est d’hier seulement qu’on peut mourir ainsi.
Quand Brutus s’écria sur les débris de Rome :
Vertu, tu n’es qu’un nom ! — il ne blasphéma pas.
Il avait tout perdu, sa gloire et sa patrie,
Son beau rêve adoré, sa liberté chérie,
Sa Portia, son Cassius, son sang et ses soldats ;
Il ne voulait plus croire aux choses de la terre.
Mais quand il se vit seul, assis sur une pierre,
En songeant à la mort, il regarda les cieux.
Il n’avait rien perdu dans cet espace immense ;
Son cœur y respirait un air plein d’espérance ;
Il lui restait encor son épée et ses dieux.

Et que nous reste-t-il, à nous, les déicides ?
Pour qui travailliez-vous, démolisseurs stupides,
Lorsque vous disséquiez le Christ sur son autel ?
Que vouliez-vous semer sur sa céleste tombe,
Quand vous jetiez au vent la sanglante colombe
Qui tombe en tournoyant dans l’abîme éternel ?
Vous vouliez pétrir l’homme à votre fantaisie ?
Vous vouliez faire un monde. — Eh bien ! vous l’avez fait.
Votre monde est superbe, et votre homme est parfait !
Les monts sont nivelés, la plaine est éclaircie ;
Vous avez sagement taillé l’arbre de vie.
Tout est bien balayé sur vos chemins de fer ;
Tout est grand, tout est beau, mais on meurt dans votre air.
Vous y faites vibrer de sublimes paroles ;