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MÉLANGES.

que le livre dans lequel il rapportait le fait, étant spécialement destiné à des militaires, ne pouvait manquer de tomber bientôt entre les mains des officiers, qu’il invoquait comme témoins. Voici d’ailleurs l’anecdote telle qu’on la trouve dans les Essais de Sainte-Foix.

« M. de Boussanelle, capitaine de cavalerie dans le régiment de Beauvilliers, rapporte dans ses Observations militaires, imprimées à Paris en 1760, qu’en 1757, un cheval de sa compagnie, hors d’âge, très beau et du plus grand feu, ayant tout à coup les dents usées au point de ne pouvoir plus mâcher et broyer son avoine, fut nourri, pendant deux mois, et l’eût été davantage, si on l’eût gardé, par les deux chevaux de droite et de gauche, qui mangeaient avec lui ; que ces deux chevaux tiraient du râtelier du foin qu’ils mâchaient et jetaient ensuite devant leur vieux camarade ; qu’ils en usaient de même pour l’avoine, laquelle ils broyaient bien menue et mettaient ensuite devant lui. C’est ici, ajoute M. de Boussanelle, l’observation et le témoignage d’une compagnie entière de cavalerie, officiers et cavaliers. »

Puisque j’ai commencé à parler des chevaux de cavalerie, j’en rapporterai un autre trait, moins étrange peut-être, mais qui ne fait pas moins d’honneur à l’arme.

Pendant que les Anglais nous faisaient la guerre en Espagne, il y avait dans la brigade d’artillerie allemande deux chevaux hanovriens, qui, depuis le commencement de la campagne, s’étaient toujours trouvés attelés côte à côte au même canon. L’un fut tué dans une action, l’autre, qui n’avait pas même été blessé, fut attaché le soir comme de coutume à son piquet. On lui apporta sa ration habituelle de fourrage, mais il refusa d’y toucher, et ne fit tout le temps que tourner la tête çà et là, en cherchant des yeux son compagnon, et l’appelant de temps en temps par un hennissement. On s’intéressa au pauvre animal, on prit de lui les plus grands soins, et on essaya tous les moyens pour l’obliger à manger ; rien ne réussit. Il était entouré de tous les côtés par d’autres chevaux ; mais il ne faisait attention à aucun d’eux, et montrait dans toute sa contenance le plus profond abattement. Enfin il mourut d’inanition, n’ayant pas touché à un brin d’herbe depuis le moment où son compagnon était tombé.

Ce n’est pas seulement pour des animaux de leur espèce que les chevaux peuvent éprouver de l’affection. On en voit, par exemple, qui se prennent pour un chien d’une vive amitié, et se prêtent à ses caprices avec la plus étonnante complaisance. C’est au reste un résultat général de l’observation que, dans toutes les liaisons inégales, s’il y a quelque tyrannie exercée, c’est toujours de la part du plus faible. Ainsi dans cette étrange société du lion et du chien, observée dans diverses ménageries, c’était le