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MÉLANGES.

physique. Les boucs qu’il avait soumis le suivaient partout, et quand on le séparait d’eux, ils n’avaient de repos qu’au moment où il leur avait été rendu.

Quelque chose de tout semblable s’observe dans les troupeaux de vaches. Celle qui est parvenue à inspirer aux autres le sentiment de sa force est bientôt maîtresse de leur affection, et les rivales mêmes qu’elle a vaincues, au lieu de s’éloigner après leur défaite, suivent en tous lieux ses pas. On profite de cette disposition pour rendre la garde du bétail plus facile.

Ainsi dans certaines parties reculées des États-Unis, les habitans qui n’ont pas de grandes propriétés laissent errer leur troupeau tout le jour dans les bois, et pour le retrouver au besoin, il leur suffit d’attacher une sonnette au cou de la vache-maîtresse ; guidés par le son connu de cette sonnette, ils arrivent aisément jusqu’à l’animal qui la porte, et sont certains de trouver tous les autres à une très petite distance.

M. le comte R…, pendant le temps de son exil aux États-Unis, s’était plu à suivre les changemens de gouvernement qui s’introduisaient dans le troupeau qu’il avait formé, et je l’ai entendu avec beaucoup d’intérêt faire l’histoire de ces révolutions. J’en rapporterai ici quelques passages.

Le troupeau, dans l’origine, ne se composait que de deux vaches dont une, très forte et très vaillante, fut dès le premier jour la maîtresse, et conserva jusqu’à la fin sa domination, quoique le troupeau se fût bien augmenté par les naissances et par quelques nouveaux achats. Quand les portes étaient ouvertes pour aller au pâturage, c’était elle qui sortait la première ; les autres venaient ensuite, toujours dans le même ordre. La maison était située près du fleuve Saint-Laurent, et dans l’hiver la surface de ce fleuve étant prise, il fallait, pour que les animaux pussent boire, ouvrir dans la glace un trou d’abord assez grand, mais qui se rétrécissait insensiblement, et, le soir, n’était que juste suffisant pour une seule bête. Dans un état moins bien organisé, toutes se seraient hâtées pour arriver des premières ; cependant ici aucune ne cherchait à boire avant la maîtresse du troupeau. Celle-ci s’avançait à son pas, buvait sans se presser, regardait ensuite autour d’elle, comme satisfaite de sa supériorité ; puis se retirait par un autre chemin. Les autres s’avançaient successivement selon leur rang dans la hiérarchie, et jamais le moindre désordre ne se faisait remarquer.

Cette maîtresse-vache mourut, et celle qui venait immédiatement après elle commença à régner. C’était une petite vache rousse, qui devait ce rang moins à sa force qu’à sa méchanceté, et qui tout d’abord exerça sa puissance d’une manière fort tyrannique. Elle avait une malveillance particulière pour la fille de la défunte, et le lui témoignait par toutes sortes de