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mauvais traitemens. La pauvre Caillette, c’était le nom de la jeune vache, se contenta long-temps de fuir ; enfin un jour, aculée dans un angle du parc, elle se vit contrainte à se défendre, cassa une corne à son ennemie, et devint par cette action d’éclat reine du troupeau. La rousse, forcée de reconnaître son infériorité, se résigna sur-le-champ, et le calme fut rétabli dans la petite société.

Caillette, comme la première née dans le troupeau, était la favorite de ses maîtres, et c’était elle qu’on gardait le plus souvent à la maison, pour laitière. Elle se serait bien passée de cette distinction, qui la tenait éloignée de ses compagnes, et elle se montrait fort joyeuse quand était venu le temps de retourner à la ferme. Cependant elle ne manquait pas de reconnaissance envers les personnes qui prenaient soin d’elle. Chaque jour à la même heure, elle se présentait à la porte de la cuisine pour recevoir des mains d’une servante noire un breuvage au son, dont elle était fort friande, et elle exprimait son contentement par des gestes dont l’impétuosité avait quelque chose d’effrayant. M. R…, ayant été appelé par des affaires à New-York, ne revint à sa maison qu’après plus de six mois. Caillette aperçut de loin la petite troupe, qui s’avançait vers la ferme, et reconnaissant aussitôt la négresse, elle se mit à bondir comme un jeune faon, la suivit en courant le long des clôtures, et essaya à plus d’une reprise de franchir cette barrière qui la séparait de sa bienfaitrice.

La petite vache rousse, comme on a pu le voir, n’avait pas un caractère aussi aimable ; elle était à demi sauvage, mais cette circonstance même en faisait un sujet intéressant d’observations. La première fois qu’elle devint pleine, et presqu’au moment de mettre bas, elle disparut de la ferme et se cacha dans le bois, où on se fatigua vainement à la chercher. Après plus de huit jours, on la vit reparaître débarrassée de son fardeau, elle mangea et but largement, mais elle avait toujours l’œil au guet, et paraissait bien déterminée à ne point se laisser enfermer. Comme on voulait savoir où elle avait laissé son veau, on la laissa repartir sans l’inquiéter ; mais, quoique suivie d’assez près, elle put se dérober aux regards en se glissant derrière les buissons et en exécutant diverses marches et contre-marches qui avaient évidemment pour but de dépister l’homme chargé de l’observer. Elle revint ainsi huit jours de suite, et chaque fois trouva le moyen de s’esquiver. À la fin, pendant qu’elle était à la ferme, on fit dans le bois une battue plus exacte, et on y trouva le veau qui était justement dans la partie opposée à celle par laquelle la vache rentrait d’ordinaire. Le jeune animal était presque entièrement couvert de feuilles et se tenait coi, contre l’habitude des veaux qui bêlent quand ils sont éloignés de leurs mères.