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REVUE. — CHRONIQUE.

parlons pas de M. de Rigny, qui s’efface à dessein, et qui d’ailleurs va se rendre à Cherbourg avec Louis-Philippe.

Le maréchal Soult s’est montré tellement effrayé de voir le roi livré à M. de Rigny, qu’il a fallu lui promettre une petite place dans la voiture. On dit que rien n’est plus plaisant que la lettre où le maréchal supplie qu’on l’emmène ; les habitans du château de Neuilly en ont ri jusqu’aux larmes.

Le voyage de Cherbourg sera pompeux. C’est un petit tour qu’on veut jouer au congrès de Tœplitz. On s’efforcera d’y montrer combien est étroite l’union de la France et de l’Angleterre. À l’issue d’une négociation ouverte tout exprès, il a été décidé à Londres qu’on enverrait à Cherbourg un beau vaisseau de guerre anglais, avec le grand pavillon britannique, pour saluer le roi des Français. Lord Yarborough, commodore du club royal des yachts, et tous les lords du club se rendront aussi à Cherbourg, à cette époque. À Cherbourg, l’Angleterre nous paiera en monnaie de singe les concessions que nous lui faisons à Lisbonne.

Au milieu de ses graves soucis pour l’état et pour lui-même, M. le ministre du commerce est fortement occupé de ce qu’il nomme la régénération du théâtre Français. Il a daigné se faire apporter cette semaine les plans de restauration de la salle. L’artiste, chargé de ce travail, est M. de Chenavart, homme plein de goût, de savoir et de mérite, dont le projet est fort beau. Il ne s’agit pas de moins que de faire tomber sur le devant de la scène un rideau de velours, de velours véritable, brodé d’or, au lieu du vulgaire rideau de toile peinte. Cette tenture serait soutenue par de hautes figures dorées, en relief, représentant des génies en plein vol. Le plafond et le haut de la scène seraient ornés par des médaillons où se trouveraient les figures de tous les poètes dramatiques anciens et modernes, étrangers et nationaux, Aristophanes et Térence près de Corneille et de Racine, Caldéron et Véga avec Roswitha et Hans Sachs, Shakespeare à côté de Molière, Joost van Vondel en face de Voltaire, et peut-être Thespis, dans son chariot, accompagné de M. Casimir Bonjour et de M. Viennet. On ne sait si M. Thiers, qui est fort classique, et classique exclusif, approuvera tout ce mélange ; en attendant, on joue chaque semaine, au théâtre Français, la Fille d’honneur et l’Orphelin de la Chine. Aussi les derniers vieillards blanchis qui sommeillaient à l’orchestre, ont-il eux-mêmes déserté cet infortuné théâtre.

La Chambre ardente, grand mélodrame joué à la Porte Saint-Martin, est la seule nouveauté qui ait excité quelque sensation. On veut voir mademoiselle Georges dans le rôle de la marquise de Brinvilliers, tout en regrettant de ne plus admirer la charmante madame Dorval, qu’une jalousie