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UN MOT SUR L’ART MODERNE.

pendance, on lui ouvre un grand chemin, et tout doucement on y trace une petite ornière, la plus paternelle possible.

Il y a des gens qui ne font qu’en rire ; moi, j’avoue que cela m’assomme. Je me laisserai volontiers traiter par la critique de telle manière qu’il lui plaira ; mais je ne puis souffrir qu’on me bénisse.

Non-seulement les associations étaient possibles dans les temps religieux, mais elles étaient belles, naturelles, nécessaires. Autrefois le temple des arts était le temple de Dieu même. On n’y entendait que le chant sacré des orgues ; on n’y respirait que l’encens le plus pur ; on n’y voyait que l’image de la Vierge, ou la figure céleste du Sauveur, — et l’exaltation du génie ressemblait à une de ces belles messes italiennes qu’on voit encore à Rome, et qui sont, même aujourd’hui, le plus magnifique des spectacles. Au seuil de ce temple était assis un gardien sévère, le Goût ; il en fermait l’entrée aux profanes, et comme un esclave des temps antiques, il posait la couronne de fleurs sur le front des convives divins dont il avait lavé les pieds.

Une sainte terreur, un frisson religieux devaient alors s’emparer de l’artiste au moment du travail ; Dante devait trembler devant son propre enfer, et Raphaël devait sentir ses genoux fléchir lorsqu’il se mettait à l’ouvrage. Quel beau temps ! quel beau moment ! on ne se frappait pas le front, quand on voulait écrire ; on ne se creusait pas la tête pour inventer quelque chose de nouveau, d’individuel ; on ne remuait pas la lie de son cœur pour en faire sortir une écume livide ; ces tableaux, ces chapelles, ces églises, ces mélodies suaves et plaintives, c’étaient des prières que tout cela. Il n’y avait pas là de fiel humain, pas d’entrailles remuées. Les cantiques de Pergolèse coulaient comme les larmes de ces beaux martyrs mélancoliques, qui mouraient dans l’arène, en regardant le ciel.

S’il s’agissait d’une opinion privée, personne au monde ne regretterait plus que moi que de pareils leviers aient été brisés dans nos mains. Peut-être cependant n’est-ce pas un mal qu’ils le soient.

Il était aussi difficile alors qu’aujourd’hui d’avoir un vrai génie ; il était beaucoup plus aisé d’acquérir un talent médiocre. Tous les centres possibles donnés à la pensée universelle, toutes les associa-