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tions de l’esprit humain, n’ont servi et ne serviront de tout temps qu’au troupeau imbécille des imitateurs. Lorsque les règles manquent, lorsque la foi s’éteint, lorsque la langue d’un pays s’altère et se corrompt, c’est alors qu’un homme comme Goëthe peut montrer ce qu’il vaut, et créer tout à la fois le moule, la matière et le modèle. Mais si la carrière est mesurée, le but marqué, l’ornière faite, les plus lourds chevaux de carrosse viennent s’y traîner à la suite des plus nobles coursiers.

Et puisqu’il faut, bon gré mal gré, que la médiocrité s’en mêle ; puisque, pour un bon artiste ou deux que peut produire un genre, il faut qu’un nuage de poussière s’élève sous les pas du maître ; qu’importe au public, je le demande, qu’importe surtout à la postérité que toute cette fourmilière pitoyable cherche ses habits de fête pour obtenir l’entrée dans un palais, ou qu’elle se rue dans les carrefours avec les chiens errans ? Qu’importe au siècle de Racine, ce qu’ont fait Pradon et Scudéri ? Qu’importe au siècle de Lamartine, ce qu’a fait un tel ou un tel ? Le public s’imagine que les mauvais ouvrages le dégoûtent, — il se trompe ; tout cela lui est bien égal.

L’inconvénient du siècle de Voltaire, par exemple, c’est que tout le monde l’imitait, et que depuis Crébillon jusqu’à Dorat, la pâle contre-épreuve de son génie va s’affaiblissant à l’infini, de même que la lumière d’une lampe, lorsque deux glaces sont l’une en face de l’autre, va se répétant dans une multitude de miroirs qui se suivent jusqu’au dernier atome de sa clarté. L’inconvénient du siècle de Lamartine, du nôtre, c’est que personne ne l’imite ; que le culte une fois détruit, il n’y a personne qui ne se croie une vocation ; que là où tout est livré au hasard, tout le monde se prend pour le dieu du hasard ; et qu’on a vu des chanteurs ambulans venir coudoyer le poète jusque sur le trépied sans tache où il est debout depuis dix ans. Eh bien ! dis-je, que nous importe ? La terre est balayée aujourd’hui autour de Voltaire ; la foudre est tombée sur l’édifice qu’il sapait lui-même, et que sont devenues ses ombres ? N’est-il pas resté seul, parmi tant de ruines, en face de son éternel ennemi, Rousseau ? Il en sera ainsi un jour à venir, et le vent qui chasse la fumée ne s’arrêtera qu’avec le temps.

On pourrait répondre à cela que la médiocrité basse, se rendant