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ÆNEAS SYLVIUS.

cédée à celui qui veut l’épouser. Je vous loue de cette action ; car que peut-on faire de plus louable que de favoriser l’union de deux personnes qui vont avoir des enfans, et concourir à peupler la ville ? Mais qu’après avoir fait cette bonne action, vous vous désoliez encore, cela n’est pas raisonnable, et ce n’est pas le propre de la vertu de faire naître le repentir ou au moins les regrets. L’exercice de la vertu donne ordinairement de la joie à l’âme. Je serais tenté de croire que vous avez fait le bien, mais que vous sentez que vous n’avez pas bien fait ; car, dans les actions humaines, c’est moins le fait qu’il faut considérer que l’intention. Si vous avez pris cette fille sous votre protection pour la sauver de l’opprobre, vous avez bien fait. Mais si vous avez été poussé à cette action par la crainte du châtiment de Dieu, ou seulement par la crainte des jugemens que le monde porterait de vous, cela n’est pas suffisant. Voilà ma réponse sur le premier point. Vous me demandez ensuite des remèdes contre vos chagrins, et vous ne voulez pas de ceux que fournissent les poètes ? Eh bien ! prenez l’Évangile. Vous y verrez que la fornication est une véritable mort, et d’après cela, vous reconnaîtrez que vous êtes véritablement heureux, puisque vous avez écarté loin de vous ce qui pouvait vous faire commettre cette terrible faute. « C’est bon ! c’est bon ! allez-vous me dire ; vous oubliez trop vite les écarts de votre jeunesse. Voilà Æneas qui devient sévère et qui me prêche maintenant la continence, lui qui, à Vienne, me tenait un langage tout contraire. » Je l’avoue, mon très cher Jean, je vous ai parlé ainsi autrefois, mais il s’est écoulé bien des années depuis ce temps. Nous devenons vieux, le jour de la mort approche incessamment, et déjà nous ne devons pas nous inquiéter de savoir comment nous vivrons, mais de quelle manière nous mourrons. C’est un homme très malheureux que celui qui, sans aucune expérience de la grâce de Dieu, n’interroge pas quelquefois son cœur, ne rentre pas en lui-même, ne perfectionne pas sa vie, et enfin ne réfléchit pas qu’après ce monde on passe dans un autre. Pour moi, mon cher Jean, j’ai assez commis d’erreurs, beaucoup trop même. Maintenant je me connais, et plût à Dieu que cela ne fût pas arrivé si tard. C’est pour moi à présent le temps de jeûne, de salut et de miséricorde. Je vous en prie donc, chassez de votre esprit le souvenir de cette fille. Imaginez-vous qu’elle est morte ; serait-ce une raison pour vous laisser mourir ? Réfléchissez mûrement aux plaisirs que vous pourriez goûter près d’elle ; pensez combien les traits de la volupté passent rapidement, à quel point toutes ces délices sont fugitives et instantanées ! Non, vous ne serez pas assez fou pour perdre une éternité au prix de plaisirs temporaires. J’emprunte ici le langage des théologiens, parce que vous dites que vous ne voulez pas des conseils