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ÆNEAS SYLVIUS.

vous aviez un caractère analogue au mien. Mais comme vous n’avez pu soutenir ce rôle, et que, par le fait, vous avez cessé d’être pour moi ce que vous aviez été dans les premiers temps, mon amitié à votre égard n’est pas restée la même. Soyez donc certain que si je ne suis pas aimable pour vous aujourd’hui, c’est que je n’étais pas réellement né pour être aimé de vous, quand nous nous sommes connus. Non que je prétende inférer de là que je suis bon et que vous êtes méchant, que mes mœurs sont excellentes et les vôtres détestables ; j’en conclus seulement que l’amitié ne peut durer entre deux personnes de caractères opposés. Pour être bref et précis, je vous dirai nettement ce qui m’empêche d’être votre ami, et en quoi vous avez été injuste et malveillant envers moi. D’abord nous différons complètement l’un de l’autre. Vous aimez le monde, j’aime la retraite ; l’argent vous plaît, j’en fais peu de cas ; quand par hasard vous vous occupez des lettres, c’est pour en tirer profit ; moi, je les cultive pour tranquilliser mon âme et mon esprit. On vous trouve fier et dur, je passe pour avoir des mœurs douces et faciles. La table a plus d’attraits pour vous que l’amour ; moi, je préfère l’amour à tous les bons repas ; il vous convient de faire du jour la nuit et de la nuit le jour, quand j’aime à me coucher de bonne heure et à me lever matin ; enfin vous chérissez la gloriole, et je veux vivre tranquille. Telles sont les différences qui nous distinguent. Que si vous ne voulez pas en convenir, j’en appelle à tous ceux qui nous connaissent depuis long-temps.

« Il est donc certain que les fondemens sur lesquels nous avons établi notre amitié n’étaient rien moins que solides. Vous vous êtes montré tout autre par la suite que vous n’aviez été d’abord, en sorte que vous devez trouver tout simple que puisque vous avez changé de cette manière, j’aie aussi modifié mon amitié. Vous désirez savoir ce qui vous a nui dans mon esprit, Michel ? Le voici : vous avez médit de moi, vous avez fait entendre à nos connaissances que je suis un homme léger, et vous m’avez prêté beaucoup d’autres défauts. Je suppose que je les aie en effet, ce qui est fort possible assurément ; n’était-il pas du devoir d’un ami de m’en parler d’abord à moi-même, plutôt que d’aller les divulguer à tout venant ? Mais, loin de là, vous m’avez toujours loué en face, et par-derrière vous vous moquiez de moi. Je pourrais citer plusieurs personnes connues également de vous et de moi, qui vous ont vu tenir cette conduite. Pouvez-vous nier, par exemple, que vous ayez tourné en ridicule la comédie de Crisis que j’ai faite à Nuremberg ? Je me tourmente assez peu du jugement que vous portez de mes écrits, et je ne tiens nullement à ce que mes vers soient loués par un homme qui n’entend absolument rien à la poésie ; mais en rapportant ce fait, je fais connaître la disposition de votre esprit. Si cette comé-