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ÆNEAS SYLVIUS.

moment de notre séparation. Ainsi donc voici les faits ; si vous pensez que j’ai altéré la vérité, défendez-vous, et écrivez-moi : je me fierai à ce que les autres jugeront de ma cause, et je livre cette lettre comme garant et soutien de mon honneur. Mais quant à cette amitié, à cette tendresse que je vous ai témoignées autrefois, elles ne pourront jamais revivre, à moins que vous ne changiez de caractère, et que vous ne réhabilitiez ma réputation. Adieu, Michel ; si je vous écris plus durement que vous ne vous y attendiez, souvenez-vous que vous avez parlé plus durement de moi qu’il ne convient de le faire d’un ami. En tous cas, j’aime encore mieux vous faire ces reproches de vous à moi, d’abord dans cette lettre, que d’en parler publiquement et de manière à vous nuire ; car si l’amitié est éteinte entre nous, nous devons au moins conserver des rapports d’honnêteté que les gens bien élevés respectent toujours. Adieu. — De Vienne. »

L’ordre chronologique établi par Æneas Sylvius lui-même dans la publication de ses lettres, est le seul que nous suivions pour les extraits que nous donnons. Les sujets ne se coordonnent pas, et n’ont même guère de rapports entre eux ; mais nous pensons qu’on ne lira pas sans intérêt le commencement d’une lettre de notre auteur, où il signale l’introduction d’un usage adopté alors dans les relations sociales, et qui a apporté des modifications importantes dans les langues modernes.


À Sigismond d’Autriche.

« Aussitôt que je me suis trouvé à la cour de César, j’ai senti un desir extrême de t’écrire. Mais j’ai été d’abord arrêté par l’humeur de notre siècle, qui ne reconnaît de bon que ce qu’il aime et ce qui lui ressemble. Presque tous ceux qui écrivent aujourd’hui se servent du pluriel, bien qu’ils ne s’adressent qu’à un seul, comme si, en multipliant les personnes, ils faisaient plus d’honneur et paraissaient plus polis. Cette coutume est fort répandue en Allemagne, et elle a déjà été en vigueur pendant quelque temps en Italie. Mais depuis que Pétrarque a nettoyé la rouille de son temps, et a remis en honneur l’imitation de l’éloquence antique, beaucoup de gens se sont décidés à écrire avec la pureté des anciens. C’est ainsi qu’en usent Leonardo Aretino, Guarino, Poggio, et tant d’autres qui, en ce moment, écrivent en Italie avec une pureté toute cicéronienne. Aussi tous ces hommes habiles écrivent-ils au singulier, parce que les Grecs et les Latins faisaient ainsi, comme l’attestent les lettres de Socrate, de Démosthène, de Cicéron et de Mécène, qui nous sont parvenues. Non-seulement les païens ont suivi cet usage, mais les pères de l’église même s’y sont conformés, et ils ne balancent pas, quand ils s’adressent à Dieu lui-même, de dire : Donne, fais, accorde, écoute, et non pas donnez, faites,