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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Nous arrivâmes vers une heure au château du général ; ces dames étaient dans le parc. On nous indiqua le côté où elles se promenaient : nous les rejoignîmes bientôt.

En nous apercevant, il me sembla que madame M… pâlissait. Elle m’adressa la parole avec une émotion à laquelle je ne pouvais me tromper. Le général accueillit Emmanuel avec cordialité, mais sa femme mit dans la réception qu’elle lui fit une froideur visible.

— Vous voyez, dit-elle à son mari, en lui indiquant, par un froncement de sourcils imperceptible Emmanuel qui avait le dos tourné, que monsieur avait besoin, pour nous venir voir, de la permission que nous lui avons donnée : du reste, je le remercie deux fois.

Avant que j’eusse trouvé quelque chose à lui répondre, elle me tourna le dos, et parla à une autre personne.

Cependant cette mauvaise humeur ne tint que le temps strictement nécessaire pour que j’eusse à m’en louer bien plutôt qu’à m’en plaindre. Au dîner, je fus placé près d’elle, et je ne m’aperçus pas qu’elle en eût conservé la moindre trace. Elle fut charmante.

Après le café, le général proposa une promenade dans le parc. J’offris mon bras à Caroline : elle l’accepta. Il y avait dans toute sa personne cette langueur et cet abandon que les Italiens appellent morbidezza, et que notre langue n’a pas de mot pour exprimer.

Quant à moi, j’étais fou de bonheur. Cette passion à laquelle il avait fallu un an pour s’en aller, il lui avait suffi d’un jour pour me reprendre toute l’âme : je n’avais jamais aimé Caroline comme je l’aimais.

Les jours suivans ne changèrent rien aux manières de madame M… avec moi : seulement elle évitait un tête-à-tête. Je vis dans cette précaution une nouvelle preuve de sa faiblesse, et mon amour s’en accrut encore, s’il était possible.

Une affaire appela le général à Paris. Je crus m’apercevoir que lorsqu’il annonça cette nouvelle à sa femme, un éclair de joie passa dans ses yeux, et je me dis à moi-même : — Oh ! merci, Caroline, merci ; car cette absence ne te rend joyeuse qu’à cause de la liberté qu’elle te donne : oh ! à nous deux toutes les heures, tous les instans, toutes les secondes de cette absence !

Le général partit après le dîner. Nous allâmes le reconduire jus-