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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/70

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REVUE DES DEUX MONDES.

l’absurdité des hommes et de la barbarie des religions humaines. Montesquieu prétend que les Scythes crevaient les yeux à leurs esclaves, pour qu’ils ne fussent pas distraits en battant le beurre ; mais, ma foi, les Hindous sont aussi cruels, et mon histoire est plus vraisemblable que celle de l’illustre président. En longeant les bords de la rivière qui passe à Sylhet, on aperçoit en certains endroits de larges et profondes excavations qui sont les tombeaux d’une caste hindoustanie, nommée Bosthoun, dont les femmes sont encore plus courageuses que celles du Malabar, puisqu’elles s’enterrent vivantes avec leurs maris, tandis que les autres se jettent tout simplement dans le feu. La caste des bosthoun se compose de ce qu’il y a de plus pur dans toutes les autres, et l’on a pour ses membres encore plus de vénération que pour les fakirs. Le principe fondamental de cette secte est de regarder la vie comme un mauvais moment qui n’a de terme qu’à la mort, où commence la véritable existence. Cette idée porte ces tristes philosophes à mépriser tous les biens de ce monde, et l’on a vu des hommes puissans se dépouiller de tout pour se faire bosthoun, ne recevant d’aumônes que ce qu’il en faut pour vivre ; car, malgré leur mépris pour la vie, ils doivent la supporter sans se plaindre. Ce même mépris les porte à ne faire aucun cas de leurs facultés morales et à se rendre les gens les plus stupides du monde, comme si la raison et les lumières jetaient quelque doute sur l’immortalité de l’âme. Un bosthoun a la singulière prétention de ne jamais se rappeler le passé, et quand on lui demande quelle était sa profession avant d’entrer dans cette noble caste, il assure très sérieusement qu’il l’a oublié. Il prétend même ne pas se souvenir de ce qu’il faisait la veille. Les bosthoun n’ont pas de noms précis pour désigner les choses et les personnes. Leur langage silencieux ne consiste guère qu’en signes, et ces signes eux-mêmes sont variables, de sorte que je ne conçois pas comment ils peuvent s’entendre, à moins qu’ils n’agissent entre eux autrement qu’avec les étrangers, ce qui me paraît vraisemblable. Le désir qu’ils ont de mourir leur fait considérer la vieillesse comme l’état le plus heureux. Ils portent envie aux vieillards comme nous aux gens puissans. C’est la secte la plus singulière que je connaisse. Elle mérite bien d’être observée avec attention, et je m’en occuperai. De tous leurs usages éga-