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LETTRES SUR L’INDE.

lement extraordinaires, je n’ai pu connaître assez exactement que ce qui concerne leurs enterremens. À la mort d’un homme, sa famille creuse un trou cylindrique d’environ huit pieds de profondeur. On place au fond un banc sur lequel on assied le défunt couvert de ses meilleurs habits. La veuve se place sur les genoux du mort, et quand la lampe dont elle est pourvue est allumée, quand elle a reçu des fruits, du riz et tout ce qui doit servir au voyage, chacun des assistans jette sur les époux une poignée de terre. La martyre crie : Oriboll ! et la famille laisse tomber sur cet affreux tombeau une large trappe qu’on recouvre aussitôt de terre et de pierres. J’ai eu la curiosité de pénétrer dans deux de ces puits mis à découvert par l’éboulement du sol, et j’ai en effet trouvé dans tous deux des ossemens humains. En vérité, la folie des hommes n’a pas de bornes, et les plus fous ne sont pas aux petites maisons.


11 septembre.


J’étais resté quelques jours à Sylhet, pour attendre la réponse du roi des montagnes, qui ne se gêne pas plus que les autres rois. Enfin il a écrit au gouverneur des marécages qu’il ne pouvait me recevoir que dans douze jours, à cause du carême qui se prolongera jusque-là. Tu t’étonneras sans doute que des Tartares fassent maigre pendant quarante jours ; mais ce qui te surprendra moins, c’est que ce prince si pieux est en même temps le plus grand scélérat du pays, qu’il vous fait écorcher un chrétien tout comme un chien, et qu’il a épousé deux de ses filles. Quant au carême dont il parle, je présume que c’est pour son peuple seulement ; car il dit sans doute, comme une certaine grande dame dont j’ai oublié le nom : « Que ferons-nous pour édifier le public ? Faisons jeûner nos gens. » Quoi qu’il en soit, il me faut attendre ; et, pour ne pas perdre mon temps, j’ai quitté la ville pour voir une autre place, nommée Chattak, d’où proviennent toutes les oranges qui se mangent au Bengale, et qui n’est pas moins célèbre sous ce rapport dans l’Inde, que le Portugal en Europe. On assure que les orangers du pays ont jusqu’à cinquante pieds de haut, que leur tronc est gros comme quatre hom-