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LA DOUBLE MÉPRISE.

prendre, par l’analyse, que les beautés qui se révèlent à tout le monde, la critique n’existerait plus, elle n’aurait plus ni valeur, ni force individuelle ; elle se confondrait, sans retour, avec les conversations de salon, avec, les indécises rêveries de la promenade ; elle aurait beau faire et crier, l’opinion resterait sourde à son autorité.

J’ai donc cherché à découvrir les idées primitives enveloppées dans la Double Méprise. Je l’avouerai sans honte, il ne m’a pas été facile, d’abord, d’isoler nettement ces vérités générales, qui, dans ma pensée, avaient dû présider à la conception du roman. — Plus d’une fois je me suis demandé si l’ironie persévérante du narrateur signifiait autre chose que la colère et le dépit, si la hautaine raillerie de son récit exprimait la sagesse et l’apaisement, ou bien s’il doutait lui-même de la portée de ses sarcasmes, s’il faisait bon marché de ses aphorismes, et s’il ne serait pas disposé, à la première occasion, à violer les préceptes qu’il posait. À cette heure, je crois qu’il est de bonne foi, qu’il a vu les tourmens qu’il décrit, qu’il sait irrévocablement la valeur des principes conclus de l’expérience.

Il me semble que je ne puis mieux faire que d’exposer ces principes dans l’ordre où je les ai successivement aperçus.

Selon l’auteur de la Double Méprise, il est très difficile d’aimer, et plus difficile encore de s’assurer qu’on aime. Je me range volontiers à son avis. — En parlant comme il fait, on peut n’avoir pas pour soi la majorité des salons, et sans doute c’est un malheur sensible. Mais la prudence qui sauve vaut mieux à coup sûr que l’approbation qui aveugle.

Aimer, dans l’acception la plus large du mot, signifie tant de choses, et si diverses, qu’il est nécessaire de bien s’entendre sur les limites et le caractère de l’idée que nous discutons. — Si l’on veut parler de l’entraînement et du plaisir des sens, c’est une question de pure physiologie. Il suffit, pour aimer, de posséder une organisation harmonieuse et complète. Mais cette émotion passagère n’a rien à faire avec la philosophie ; elle peut se renouveler fréquemment sans apporter aucun changement notable dans les idées ou les sentimens de celui qui l’éprouve. C’est l’amour antique, une esclave belle et jeune qui entre au lit de son maître, et qui l’endort dans ses caresses.