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Grace à l’argumentation toute scolastique de son interlocuteur, le comte venait de s’enferrer lui-même. Il s’en aperçut un peu tard, et crut prendre sa revanche en s’élevant à des considérations philosophiques, en établissant qu’il y avait un point de vue supérieur à celui de la distinction des ordres, le point de vue de l’unité nationale ; mais il fut arrêté presque aussitôt par le président, qui lui dit : — Monsieur, le mandat que vous sollicitez n’est pas celui d’un Lycurgue ou d’un Solon, c’est celui d’un loyal représentant de la noblesse de France aux états-généraux du royaume. Ou cette sollicitation implique de votre part la reconnaissance en droit comme en fait de l’antique séparation des trois ordres, ou nous n’avons rien à nous dire. —

Avant que le comte pût répondre à cette interpellation, l’un des plus notables assistans, M. le conseiller de Grand-Claude, ajouta d’une voix criarde : — Monsieur, il s’agit de réformes dans l’état, et nullement de révolutions ; il s’agit d’améliorer, et non d’innover en quoi que ce soit : c’est la teneur expresse de nos cahiers.

— D’accord, messieurs, répondit le comte du ton satisfait d’un homme qui croit avoir trouvé un argument sans réplique, d’accord ; mais au moment d’entreprendre la réparation d’un vieil édifice, n’est-il pas sage de prévenir le cas où les murailles crouleraient sous le marteau, et de songer au plan d’après lequel il conviendrait alors de rebâtir à neuf ?

Ces paroles étaient à peine prononcées, que le président reprit avec son imperturbable gravité : — Monsieur le comte, pour parvenir à nous entendre, nous devons être clairs ; si j’osais vous adresser une requête, ce serait celle de parler sans figures.

Il fallut à M. de Morvelle toute la longanimité d’un candidat pour ne rien laisser voir de l’humeur que lui causait cette chicane. Reprenant aussitôt son discours, et remontant aux sources même du droit naturel, et à l’origine des sociétés, il débita, avec une grande facilité d’élocution, tout ce que dix ans de conversations, à défaut d’études, lui avaient appris en politique. Mais, malgré le talent de l’orateur, l’assemblée resta impassible. Les théories élevées et absolues de la philosophie parisienne venaient échouer contre le bons sens fortement carré de l’esprit comtois et les habitudes formalistes de l’esprit parlementaire. Il n’y eut plus ni objections ni