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Méhémet, et que ses péchés avaient enfin armé la justice céleste contre lui.

Il ne put cacher son trouble et ses pressentimens à son neveu, qui, après avoir entr’ouvert les yeux pour écouter les paroles du médecin, se retourna sur son divan en murmurant ce vieux proverbe du pays : « Que le mal qu’on te prédit pour demain ne t’empêche pas de dormir aujourd’hui. »

— Après tout, mon bon oncle, ajouta-t-il, Dieu est grand et ses desseins sont impénétrables : qui sait si de votre visite à la Validé ne va pas dépendre cette brillante fortune que j’entrevois si souvent dans mes rêves, quand le vin de Ténédos m’ouvre les portes du paradis.

Voilà dans quelle disposition Nuh-Effendi avait laissé son neveu Méhémet quand il se présenta au sérail impérial devant la Sultane Validé, ainsi qu’il en avait reçu l’ordre. Son titre de hékim (médecin) lui ouvrit les portes les plus secrètes du harem, qu’un autre homme, eût-il été le premier de l’empire, n’aurait passées qu’au prix de sa tête.

Introduit dans une salle magnifiquement tendue de soieries de Brousse et de Baghdad, Nuh-Effendi aperçut, à travers un léger nuage d’aloès et de santal qui s’élevait d’un réchaud d’argent, la très chaste et très éclatante Sultane-mère, majestueusement accroupie sur un divan brodé de perles. Elle fumait un tchibouk enrichi de pierres précieuses, ainsi qu’il convient à une femme d’une aussi haute distinction.

La Validé était entourée de ses jeunes esclaves, toutes splendidement vêtues et dont les aimables visages brillaient sous la mousseline de leurs voiles comme autant de constellations au milieu de l’obscurité de la nuit. Seule, la Validé-Sultane montrait son visage découvert, car aucun regard mortel n’aurait osé se fixer sur ce soleil éclatant, de peur d’en être ébloui. Le hékim put remarquer cependant avec quelle noblesse ses yeux s’encadraient sous les arcades de ses sourcils, que le pinceau noirci de surmé avait arrondis sur son front, semblables à deux portiques du ciel.

Nuh-Effendi se prosterna au pied de l’estrade du divan, et il alla baiser avec respect le bas du manteau de sa souveraine ; puis se relevant aussitôt et tenant ses yeux baissés à terre, dans l’altitude