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LITTÉRATURE ANGLAISE.

de Crabbe, pour retrouver ses scènes douces et gracieuses, car elles nous aident à supporter les tristes esquisses auxquelles l’auteur les associe, et, pareilles aux sources d’eau qui coulent dans le désert, elles nous récréent et nous rafraîchissent, en même temps qu’elles rattachent le poète aux plus tendres sympathies de la nature humaine. Que si du moins il eût rendu ces tableaux plus fréquens, s’il eût voulu faire dans la vie une égale part du bien et du mal, sa place serait marquée entre Cowper et Burns, qui de tous les poètes modernes sont ceux dont les œuvres trouvent l’écho le plus naïf chez tous les hommes.

On formerait un curieux chapitre de biographie, en examinant combien peu de livres cadrent parfaitement avec le caractère de leurs auteurs. Crabbe était d’une nature tendre, affectueuse, pleine de générosité. Il aimait à secourir les pauvres ; souvent même, lorsque sa servante les avait repoussés, il courait après eux pour leur faire amende de cette dureté. Malheureusement ses vers, au lieu de sortir sans détour de son cœur, étaient le fruit d’un système dès long-temps arrêté et suivi avec persévérance. Il avait résolu de ne pas promener sa muse comme une bergère aimable et riante au milieu des arbrisseaux et des fleurs, mais de la faire passer à travers les ronces et les épines ; et au lieu de s’abandonner aux chants de joie et d’amour, comme les autres muses ses sœurs, celle-ci devait se plaindre et pleurer, grincer des dents, s’arracher les cheveux, et ne souffrir aucune consolation.

Comme homme privé, Crabbe inspirait beaucoup d’affection ; comme ecclésiastique, il fut toujours respecté. Il s’intéressait vivement à l’éducation des pauvres, et employa une grande partie de son temps à l’améliorer. Son école du dimanche était un de ses délassemens favoris ; il aimait alors à s’asseoir au milieu des enfans, à leur parler, à les entendre, et beaucoup d’étrangers choisissaient ordinairement cette heure pour aller le voir. Sur la fin de sa vie, il disait à un de ses amis en lui montrant des enfans : « Je les aime beaucoup et la vieillesse m’a de nouveau rendu leur compagnon. » Il mourut le 8 février 1832 à l’âge de 78 ans. Les habitans de Trowbridge fermèrent leurs boutiques, et quelques-uns prirent le deuil, pour rendre hommage à sa mémoire.


Rogers. — Nous avons remarqué dans les œuvres de Crabbe[1] un

  1. Crabbe se trouvait placé sur la limite du xviiie et du xixe siècles. Avec Cowper et Burns, il forme, pour ainsi dire, l’anneau intermédiaire qui rattache l’une à l’autre, la littérature de la reine Anne d’une part, et de l’autre la nouvelle littérature de Scott et de Byron. Si l’auteur avait voulu donner un tableau complet, non de chaque écrivain pris à part, mais du mouvement de l’intelligence en An-