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LITTÉRATURE ANGLAISE.


En jetant un coup d’œil sur la moisson poétique si éclatante et si variée[1] que les cinquante dernières années ont produite ; en comparant notre poésie à la poésie du siècle d’Élisabeth, on ne peut s’empêcher d’avouer que la balance ne penche pas en notre faveur. Nos poètes, il est vrai, emploient moins d’allusions savantes et pédantesquement classiques, moins de dieux et de déesses, moins de Vénus et d’Adonis ; mais les émotions qu’ils reproduisent sont moins nobles, le vol de leur imagination est moins élevé. La joie de la nature frappe moins vivement leur

    voie toute la littérature de son temps. De son côté, Scott ramenait ses contemporains vers l’étude pittoresque du passé, et Southey cherchait, non dans les traditions du pays natal, mais dans les légendes fabuleuses et brillantes des terres étrangères, le renouvellement du génie épique. Quelques hommes distingués, moins hardis, moins originaux, Campbell, Rogers, Moore, et quelques femmes douées de talent, se contentaient de chercher la perfection artistique de leurs œuvres, sans frayer un sillon nouveau ; Campbell, animé d’une puissance intime et supérieure, a marqué son passage plus profondément que l’élégant Rogers, et que Moore, poète facile, agréable, orné. En dehors de ces noms, vous trouverez des talens, non des puissances intellectuelles. Les hommes que nous avons nommés sont les vrais phares poétiques du xixe siècle en Angleterre, les flambeaux à la lumière desquels tous les autres poètes sont venus allumer leur torche, et qui rayonnent encore dans des directions différentes ou opposées. Après ce grand éclat, la poésie anglaise ne pouvait que déchoir. C’est ce qui lui arrive aujourd’hui.

  1. Les éloges nombreux que M. Allan Cunningham vient de donner à tous les poètes qu’il a fait comparoir devant lui, ne contredisent-ils pas cette critique générale, d’ailleurs si ingénieuse ? Est-il juste d’opposer une époque à une autre époque ? L’âge d’Élisabeth a eu son Shakspeare et son Spencer, et c’est bien assez. Le dix-neuvième siècle a produit Byron et Walter Scott, météores assez lumineux pour que l’avenir ne les perde pas de vue. Peut-être, si l’on voulait absolument établir un parallèle entre les deux ères poétiques, serait-il plus juste de dire que l’élévation appartenait à l’une, et la profondeur à l’autre ; d’opposer la naïveté ardente et crédule du temps de Spencer à l’analyse admirable de Byron, aux peintures inexorables de Crabbe. Il serait bon d’ajouter aussi que cette double nécessité des temps ne peut ni étonner le philosophe, ni lui inspirer un seul regret. Comment aurions-nous retrouvé cette naïveté crédule des temps passés, nous vieux de civilisation, et étayant de toutes parts notre foi chancelante ? Comment nos aïeux auraient-ils devancé deux siècles, et trouvé dans leur temps les terribles enseignemens que lord Byron a reçus de la révolution française et de Bonaparte ? La poésie n’est pas déchue ; elle s’est transformée, de même que la société ne meurt pas, mais s’enveloppe de langes nouveaux, renaît sous d’autres attributs et de nouveaux traits, toute puissante et forte.