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couleurs de l’histoire[1] aux détails, aux conversations, aux incidens dramatiques qui servaient de texte aux romanciers ses prédécesseurs. Quand

    Fielding, observateur comme Richardson, mais défectueux quant à la création dramatique de ses plans, vint renouveler le roman, qu’il constitua le greffier de l’histoire dans ses menus détails, dans ses anecdotes intéressantes, dans ses mille accidens pittoresques. Ce grand homme a été suivi, comme on sait, par la foule des copistes qui ont vécu de ses miettes et recueilli ses débris. James, Horace Smith, ont peu de droit à l’admiration littéraire. Banim, Irlandais, écrivain ardent, fécond, passionné, bon peintre des paysages de son pays, mais exagéré comme la plupart de ses compatriotes, essaya de donner à l’Irlande un Walter Scott, un conservateur des coutumes et des bizarreries nationales. — Depuis cette époque, le roman a encore subi une ou deux transformations. Il s’est fait homme à la mode, Dandy, Exclusif, Corinthien : il a produit une foule de mauvaises et fades peintures du grand monde ; puis, professeur, il a donné les romans politico-économiques de miss Martineau ; et enfin prédicateur, comme on peut le voir dans Tremaine et quelques livres modernes.

  1. La situation politique de l’Angleterre, à l’époque où Walter Scott publia ses romans, mérite d’être observée. Elle était forcée à une lutte extraordinaire. Avec son industrie gigantesque et sa capitale quatre fois plus grande que Paris, dont les habitans se répandaient sur toutes les parties du globe, avec ses manufactures florissantes et sa dette publique incalculable, avec son amour de la liberté, et sa lutte corps à corps engagée contre la révolution française et Bonaparte son héritier, l’Angleterre avait besoin de jouissances poétiques qui la fissent échapper au sentiment de cette situation anormale. C’est précisément parce que la Grande-Bretagne était forcée à une grande dépense de force morale, d’attention, d’énergie, de constance, de toutes les qualités qui n’ont aucun rapport avec la poésie et les arts, que sa soif d’émotions littéraires devint ardente, intense, violente.

    Il y avait donc nécessité de s’abreuver à une source poétique nouvelle. La muse religieuse et familière de Cowper ne suffisait plus ; Byron et Walter Scott furent les magiciens dont la baguette puissante fit sourdre le torrent de poésie qui jaillit tout à coup. La poésie, comme l’a dit Bacon, n’est que la représentation idéale des choses que l’on désire et que l’on n’a pas. C’était l’Orient embaumé et embrasé, l’Espagne oisive et enthousiaste, l’Italie voluptueuse et contemplative, que lord Byron importait sous les brumes de l’Angleterre. C’étaient, chez Walter Scott, les héros d’autrefois, les vieux châteaux, les vieilles tours féodales, les paladins et leurs armures, les brigands du Border et les belles qu’ils enlevaient ; c’étaient les combats des vieux montagnards d’Écosse, et tous les souvenirs ardens de la féodalité que Walter Scott faisait apparaître au milieu de cette société moderne si pédan-