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LITTÉRATURE ANGLAISE.


Lady Morgan. — La jeune Irlandaise (the wild[1] Irish Girl) est le premier ouvrage qui l’ait signalée à l’attention publique. Il y a dans ce roman beaucoup de naturel, et je ne sais quelle saveur sauvage et poétique qui se mêle agréablement aux réalités de la vie. Cette production d’un auteur si jeune attestait une facilité, une pénétration, un enthousiasme rares ; depuis cette époque, elle a donné plus d’une preuve des mêmes qualités. La Novice de Saint-Dominique offrait des personnages passionnés, des tableaux intéressans, naïfs, pleins d’émotion. Ida l’Athénienne, contre laquelle Gifford, le destructeur des renommées, lança une de ses bombes fatales, ne manque pas de talent ni de séduction.

Les romans de lady Morgan ne sont pas ses meilleurs ouvrages. Peintre de mœurs réelles, elle a besoin de copier ce qu’elle voit, des scènes actuelles, des caractères existans, des hommes vivans, des personnages de chair et de sang, des êtres qui ont joué leur rôle dans le grand drame de la vie. Elle est peut-être sans égale dans les esquisses semi-historiques : tantôt le portrait est en pied ; tantôt il se montre de profil ; quelquefois, comme les têtes de Vandyk, il vous regarde par-dessus l’épaule ; mais jamais elle ne manque d’assigner à chacun d’eux son vrai caractère, de saisir l’esprit du modèle. Elle aime les oppositions vigoureuses de lumière et d’ombre ; elle se plaît à montrer de solennels personnages occupés de choses très peu solennelles ; mais sa manière est nette, claire, facile, intelligible. L’amour de la liberté, la haine de l’oppression, respirent dans ses ouvrages.

Elle a écrit avec trop de liberté, d’amertume et de talent, pour ne pas avoir beaucoup d’ennemis ; les siens sont nombreux et redoutables. Les pays étrangers la regardent comme une bienfaitrice[2]. Ici elle est tournée en ridicule ; on interprète à faux ses idées et ses paroles, et jamais femme n’a été traitée aussi outrageusement. Cette conduite est discourtoise, injuste, révoltante. Dans tout ce qu’elle écrit, il y a trace d’un talent très

  1. Wild, expression intraduisible en français, signifie à la fois capricieux, naïf, sauvage.
  2. Les lecteurs français ne seront peut-être pas de cet avis sur lady Morgan. Son étourderie, sa précipitation, ses jugemens faux, exprimés dans un style conquérant, pimpant et fardé, la familiarité protectrice avec laquelle elle traite les hommes célèbres, et les innombrables erreurs matérielles contenues dans ses ouvrages, compensent malheureusement son talent réel et ses bonnes intentions, la facilité et la légèreté de style qui la distinguent. Les Anglais pensent que nous l’admirons. Nous croyons que les Anglais l’admirent : c’est une bizarre gloire assurément, que celle qui s’appuie sur ce double et fragile piédestal.