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partout : Réveillez–vous ! réveillez-vous ! Déjà Athènes et Rome sont debout ; mais qu’elles sont lentes les cités d’Orient ! Babylone, la belle, voudrait rester couchée sur le coussin de son désert ; les villes de l’Occident sont plus promptes : Paris, au bruit de la trompette céleste, croit entendre le clairon des batailles et se lève joyeuse, comme au matin de Bovines et d’Austerlitz. Et, cependant, la science humaine retourne sans relâche son insoluble problème. Dans son laboratoire, Albertus Magnus ne s’est pas aperçu que le monde et sa pensée elle-même finissaient. Depuis hier, il croit avoir trouvé la méthode : il faut pour l’arracher à sa rêverie que l’ange du jugement vienne lui frapper l’épaule et ferme son livre.

Notre poète soulève aussi la pierre de son sépulcre ; son cœur le premier a retrouvé sa chaleur ; mais ses yeux sont encore pleins de la terre du cimetière : Ce n’est pas la trompette de l’archange, ce sont des voix de femmes ; que dis-je ? c’est la voix d’une femme qui achève de le ressusciter.

Cependant, sur le monde en ruines, les destinées d’Ahasvérus et de Rachel s’accomplissent ; l’amour les a si étroitement unis qu’ils semblent avoir changé d’ames ; Rachel, l’exilée du ciel, ne songe plus à y remonter ; pour suivre Ahasvérus, elle vivra sur un débris de la terre, sans Dieu, sans Christ, sans soleil. Mais Ahasvérus est las de la terre, Rachel même ne lui suffit plus ; il aspire au ciel ; il veut aller plus loin, plus loin, jusqu’à la source infinie de tout amour. La transfusion de ces deux existences est accomplie. Elles peuvent paraître devant leur juge.

Déjà toute la création, les fleurs, les étoiles, l’Océan et tous les peuples et toutes les villes, guidés par Mob, ont défilé comme une procession de Pâques devant le Père Éternel ; tous ont confessé leurs fautes, exposé leurs œuvres ; tous ont reçu du Père une parole douce ou sévère ; tous ont été bénis ou maudits. De tout ce qui fut bon dans l’ancien univers l’Éternel a composé sa cité nouvelle, cette cité des ames, où tous les royaumes ne feront qu’un royaume, toutes les lois qu’une loi, toutes les langues qu’une langue qu’on appellera poésie. Il ne reste plus à juger qu’Ahasvérus et Rachel ; les voici aux pieds du Christ.

« Je t’avais chargé de cueillir après moi ce qui restait de douleur dans le monde. Es-tu bien sûr de l’avoir toute bue ?