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DE LA NATURE DU GÉNIE POÉTIQUE.
AHASVÉRUS.

D’un regard vous aviez rempli mes yeux de larmes éternelles. J’ai versé déjà tous mes pleurs pendant la nuit que j’ai vécu. Vous m’aviez laissé en héritage ma coupe pleine de fiel. Rachel, en en buvant sa part, l’a vidée avec moi ce matin.

LE CHRIST.

Puisque tu as fini ta tâche, veux-tu que je te rende ta maison en Orient ?

AHASVÉRUS.

Non ; je demande la vie et non le repos. Au lieu des degrés de ma maison du Calvaire, je voudrais, sans m’arrêter, monter jusqu’à vous les degrés de l’univers. Sans prendre haleine, je voudrais blanchir mes souliers de la poussière des étoiles ; monter, monter toujours, de mondes en mondes, de cieux en cieux, sans jamais descendre, pour voir la source d’où vous faites jaillir les siècles et les années…

LE CHRIST.

Mais qui voudra te suivre ?

VOIX DANS L’UNIVERS.

Non pas nous…

RACHEL.

Moi ! Je le suivrai, mon cœur n’est pas lassé.

LE CHRIST.

Cette voix t’a sauvé, Ahasvérus. Je te bénis le pélerin des mondes à venir. Rends-moi le faix des douleurs de la terre. Que ton pied soit léger ; les cieux te béniront, si la terre t’a maudit… tu fraieras le chemin à l’univers qui te suit. L’ange qui t’accompagne ne te quittera pas. Si tu es fatigué, tu t’assiéras sur mes nuages. Va-t-en de vie en vie, de monde en monde, d’une cité divine à une autre cité ; et quand, après l’éternité, tu seras arrivé, de cercle en cercle, à la cime infinie où s’en vont toutes choses, où gravissent les ames, les années, les peuples et les étoiles, tu crieras à l’étoile, au peuple, à l’univers s’ils veulent s’arrêter : « Monte, monte toujours ; c’est ici. »

Le monde promis par l’Éternel est créé. Le mystère est fini ; on n’entend plus qu’une douce harmonie de voix et d’instrumens qui