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dessous d’elle, il lui naîtra sans doute des ennemis. Déjà, dans les lieux où elle s’est le plus anciennement introduite, on commence à voir paraître certains arbrisseaux à feuilles coriaces, différens de ceux qui se trouvaient dans les rastrojos anciens ou récens, et ces arbrisseaux l’étoufferont peut-être un jour.

Une autre ville de la Nouvelle-Grenade, Tocayma, fondée six ans seulement après Cartago, eut beaucoup plus tôt à souffrir d’un semblable mal. Riche et florissante d’abord, elle n’est plus aujourd’hui qu’une misérable bourgade, connue seulement parce que sa proximité de Bogota en fait un lieu de rendez-vous pour ceux des habitans du plateau qui, forcés de suivre un régime sudorifique, ont besoin d’en seconder les effets par l’influence d’un climat très chaud. Sa ruine, à la vérité, dépendit de plusieurs causes : d’une inondation qui renversa une partie des maisons ; de l’extinction des Indiens, qui succombèrent aux fatigues, aux mauvais traitemens dont les accablaient les conquérans ; mais principalement de la destruction de ses pâturages par l’introduction d’un misérable arbuste, l’espino, petit mimose épineux, qui ne commença à paraître dans la plaine où la ville avait été bâtie que quelque temps après l’établissement des Européens.

Une troisième ville, située un peu plus au nord que Tocayma, mais surtout à une beaucoup plus grande hauteur, et de manière à être, comme on le dit dans le pays, en terre froide, la ville de Leyva, a de même déchu graduellement, parce que son agriculture est devenue de moins en moins productive. Les campagnes, qui d’abord portaient des moissons de froment d’une abondance si extraordinaire, que je n’ose répéter ce que j’en ai entendu rapporter, donnent aujourd’hui à peine de quoi payer le laboureur. Mais ici il n’y a pas eu introduction, au moins en proportion notable, d’espèces végétales nuisibles aux blés ; il y a eu seulement épuisement du sol. Ce qui doit surprendre d’ailleurs, ce n’est pas la stérilité actuelle, mais la longue durée de la fécondité. C’est une chose remarquable qu’une terre qu’on n’engraissait jamais, et à laquelle on demandait continuellement un même produit, ait pu encore, après deux siècles, donner des moissons qui payassent la semence et le labour.

Il est probable que, par une alternance judicieuse dans les cultures, on parviendrait, non pas à rendre aux campagnes de Leyva