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leur manquent souvent. Ils ont traité beaucoup de sujets, et quelquefois d’une manière intéressante ; mais, quels que soient la variété, l’utilité, même le charme de leurs récits, on peut leur reprocher de ne s’être pas placés, en général, à un point de vue assez haut, d’avoir fait des monographies, d’avoir découpé l’histoire par menus fragmens, d’avoir négligé l’ensemble, d’avoir morcelé les grandes questions. L’histoire d’une expédition ou celle d’une colonie leur suffisent ; ils ne s’embarrassent pas de la destinée d’un peuple entier, ils n’embrassent pas toute sa vie. L’esprit de parti colore de ses reflets menteurs nos nombreux essais historiques. Des avocats habiles plaident savamment le pour et le contre. Nous avons des histoires politiques, religieuses, militaires, commerciales, constitutionnelles, coloniales ; mais des tableaux achevés qui nous offrent d’un seul coup d’œil tout ce que l’énergie d’une grande nation a produit dans les arts et dans la guerre, dans le commerce et dans la politique, nous les attendons encore.

Nos historiens modernes, moins heureux dans le choix de leurs sujets que quelques-uns de leurs prédécesseurs, ont prouvé beaucoup d’érudition, de sagacité, d’étendue dans l’esprit ; peut-être n’ont-ils pas égalé, pour le talent dramatique, la simplicité du style et la facilité de la narration, ceux qui leur ont ouvert la route. On doit avouer que la plupart d’entre eux ont trop de penchant à la controverse, s’arrêtent trop complaisamment sur l’anecdote, et oublient trop souvent les grands traits et les vastes pensées. Les sujets manquent-ils donc ? Cette redoutable guerre qui a ébranlé récemment toutes les nations d’Europe n’a été décrite que par fragmens. Avons-nous une seule bonne histoire de la littérature anglaise ? C’est à la nation elle-même, et non aux écrivains, qu’il faut adresser ces reproches. Ils consultent toujours et suivent aveuglément le goût du

    succéder à celui des histoires générales ? Les grands traits de la vie des peuples n’ont-ils pas été trop souvent reproduits pour exciter encore un vif intérêt ? C’est par les détails qu’elle peut se renouveler ; ce sont eux qui, bien étudiés, doivent corriger ses erreurs anciennes et rajeunir son vieux coloris.

    M. Allan Cunningham, dans sa marche aventureuse à travers toutes ces réputations et tous ces talens, a négligé d’indiquer l’esprit philosophique qui a présidé à leurs créations. Parmi les historiens, le représentant le plus énergique des idées nouvelles est Godwin, auquel on peut joindre Brodie. Southey représente l’ancienne Angleterre aristocratique, modifiée par la révolution de 1688, et soumise à l’église anglicane. Roscoe, dont la pensée a bien moins de force, s’est rapproché du catholicisme, dont Lingard a embrassé ouvertement la défense.