Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
LITTÉRATURE ANGLAISE.

public ; ce sont des romans frivoles et des œuvres de parti qu’on leur demande, et qu’ils produisent.


Jean Lingard a écrit une histoire d’Angleterre basée sur les recherches les plus curieuses et les plus neuves. Sagace, éloquent, simple et concis dans sa diction, sachant disposer et grouper les événemens avec une heureuse clarté, il ne manque ni d’une certaine gravité d’historien, ni de couleurs ardentes et vives ; mais il le cède à Hume pour la naïveté, la facilité et la grace, à Gibbon pour l’intérêt, la verve et le pittoresque

Ses premiers ouvrages, consacrés à la défense de l’église anglo-saxonne et de l’ancien catholicisme anglais, attestaient une patience de recherches et une puissance de style qui firent espérer qu’une bonne histoire d’Angleterre sortirait de cette plume habile. On savait que le docteur Lingard aimait à puiser aux sources antiques et primitives, que les modernes documens et les opinions accréditées ne le satisfaisaient pas ; on reconnaissait sa pénétration, sa persévérance et son talent d’écrivain ; mais l’on craignait aussi que la sympathie qu’il avait déjà témoignée pour Rome catholique ne le portât à se constituer l’avocat de la papauté, à embellir et idéaliser le portrait de ses défenseurs, tout en n’oubliant rien pour présenter ses ennemis sous des couleurs odieuses et exagérées.

On ne se trompait pas. Chaque nouveau volume de l’Histoire d’Angleterre vint prouver la justesse de ces espérances comme de ces craintes. Lingard réserve tout son enthousiasme pour la cause du catholicisme ; il n’a d’éloquence et d’amour que pour ces hommes d’église qui si long-temps ont lutté contre les rois. Il contemple avec froideur, peut-être même avec mépris, la puissance croissante des communes d’Angleterre ; son humanité ne s’éveille qu’au son de la cloche sacrée ; sa loyauté pour les rois, son patriotisme, s’effacent devant son titre de catholique. C’est sous la bannière du pontife suprême qu’il marche, c’est dans sa bénédiction qu’il puise l’inspiration de toute son œuvre ; s’il élève la voix en faveur des trônes, c’est qu’il les regarde comme consacrés et inaugurés par le successeur des apôtres ; il permet au clergé de découronner les rois pour s’emparer de leur sceptre, et n’approuve les révolutions que lorsqu’elles se font dans l’intérêt du prêtre. Si nous voulions entrer ici dans des détails que les bornes de cet essai nous défendent d’aborder, nous le verrions excuser saint Dunstan, dont la turbulence séditieuse est flétrie même par les anciens annalistes ; nous le verrions faire l’apologie de la Saint-Barthélemi, réduire considérablement le nombre des victimes que cet affreux massacre entraîna dans une tombe sanglante, et représenter comme le résultat funeste, mais pardonnable, d’une colère momentanée, un abominable complot mûri et médité depuis long-temps.