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LITTÉRATURE ANGLAISE.


Pour la vigueur et la variété du génie, Robert Southey a peu de rivaux. Critique exact et habile, poète de premier ordre, biographe admirable, il est en outre un de nos meilleurs historiens. Depuis Gibbon, aucun écrivain anglais n’a porté dans l’étude de l’histoire une érudition aussi vaste, aussi réfléchie, aussi détaillée. Maître de toutes les ressources de la langue anglaise, la gravité naturelle de son génie le rendait spécialement propre aux grands travaux historiques. Ses œuvres respirent une simplicité presque antique, une noblesse naïve qui rappelle le style de nos bons auteurs du xvie siècle, et qui l’a exposé aux attaques injustes de certains critiques, trop accoutumés à l’élégance affectée et à la rhétorique fleurie des auteurs modernes. Jamais, chez lui, la faiblesse de la pensée ne cherche un abri sous la pompe des grands mots. L’Histoire de la guerre de la Péninsule, celle du Brésil et le Livre de l’Église, trois grandes compositions, offrent un ensemble harmonieux, une lucidité parfaite, une grandeur simple, qui doivent servir de modèle ; ce sont des monumens durables, que le caprice n’a pas élevés, et qui survivront à la plupart des œuvres contemporaines.

Dans son Histoire de la Péninsule, on reconnaît un coup d’œil vaste, une haute et large portée, la facilité d’embrasser et de faire mouvoir beaucoup d’objets à la fois, de les grouper, de les disposer, de les faire valoir. On y trouve aussi l’accent d’une ame noble et héroïque ; toute la Péninsule se déploie aux yeux de Southey. Ses vallons, ses montagnes, ses défilés inaccessibles, ses forêts, ses habitans, ses villes sont là, devant lui ; et quand il s’est rendu maître de tous les élémens de son sujet, quand il a bien étudié le noble et le paysan, le moine et le soldat, il raconte, avec une énergie digne des anciens, les diverses fortunes de cette guerre soutenue par la liberté contre le plus grand conquérant des temps modernes. On voit les armées s’entrechoquer, les différens caractères se dessiner nettement, les intérêts des nations rester suspendus dans la balance. On prend un intérêt vif et puissant à tout ce drame pathétique. Sans doute quelques écrivains espagnols ont critiqué cet ouvrage, dans lequel ils ont découvert des erreurs de détail ; en Angleterre, on a reproché à l’auteur la teinte forte et véhémente qu’il a répandue sur son œuvre. Nous ne devons pas nous étonner de ces erreurs, pardonnables à un écrivain étranger ; nous devons encore moins lui imputer à crime la sympathie ardente que lui ont inspirée les opprimés et son indignation contre l’oppresseur.

On lui a reproché aussi d’avoir trop usé des ressources que lui offrait l’ancienne littérature espagnole ; d’avoir mis à contribution les vieilles ballades et les vieux romans ; de s’être rappelé trop souvent, à propos d’un couvent et d’une église, les traditions et les légendes dont son ima-