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gination était remplie. À nos yeux, cette accusation est un éloge : la situation de l’Espagne moderne s’explique mieux, grace à ces épisodes ; ils soulagent la pensée du lecteur, fatigué de tant de scènes de carnage, et qui respire avec délice un air plus frais et plus pur. L’amour de la liberté, le sentiment de l’indépendance nationale, sont empreints sur toutes ces pages ; au lieu d’être surpris que quelques erreurs locales de peu d’importance lui soient échappées, nous ne pouvons qu’admirer la sagacité avec laquelle il a discerné la vérité au milieu de tant de récits contradictoires, incomplets, dictés par la fureur et la haine d’ennemis acharnés, dont l’épée fumait encore.

Le Livre de l’Église se fait remarquer par une charité douce et presque divine, par un profond respect pour l’Évangile et les vérités qu’il contient, et par un souverain mépris de la superstition usurpatrice et oppressive. On convient généralement que le portrait de chaque église différente a été tracé par lui avec une vigueur et une vérité scrupuleuse, sans caricature, sans grossièreté, sans faiblesse. Apologiste de l’église anglicane, il a dû déplaire aux partisans du catholicisme romain, et n’a pas ménagé davantage l’orgueil des sectes dissidentes. Presbytérien moi-même, et persuadé que la pompe de l’église épiscopale s’accorde moins avec l’esprit de l’Évangile que notre simplicité, je suis loin de reprocher à Southey, homme sincère et vertueux, l’appui qu’il a prêté aux doctrines qu’il regarde comme les meilleures. Nous ne différons que sous le rapport de la discipline ; et cet avocat, si érudit, si éloquent, si profond, de l’église anglicane, c’est encore notre frère.

Le plus noble de tous les ouvrages en prose de Southey, c’est son Histoire du Brésil, monument original, plein de variété et d’unité à la fois. On lui a reproché la barbarie des mœurs qu’il dépeint et l’atrocité des scènes qui remplissent ses pages ; mais qu’y pouvait-il faire ? Des hordes sauvages luttant contre des envahisseurs non moins sauvages qu’eux : tels étaient les élémens de son tableau ; il a su découvrir les différences caractéristiques de ces hordes, décrire avec exactitude et chaleur leurs superstitions, leurs mœurs, leurs préjugés, peindre le changement produit par leurs oppresseurs chrétiens, qui venaient, la croix d’une main et le glaive de l’autre, leur opposer une superstition non moins barbare que celle qui les dominait naguère. De ces matériaux si difficiles à mettre en œuvre, il a su tirer l’un des livres les plus intéressans et les plus instructifs de la littérature anglaise : variété de scènes et de personnages, aventures extraordinaires, incidens romanesques racontés simplement, tout s’y trouve. L’accent de l’historien est sérieux, grave, élevé, et prouve l’intérêt vif et profond qu’il a pris à son œuvre. Il domine son sujet ; aucune trace d’ef-