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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/140

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Écrivez dans les journaux.

— Ils regorgent, et d’ailleurs je suis poète, et non pas critique.

— Faites de l’opposition.

— À mon âge !

— Quelques odes monarchiques…

— Je ne sais faire que du drame.

— Tant pis pour vous !…

Que d’obstacles ! et les directeurs, inexorables cerbères de ces enfers qu’on nomme théâtres, — qui se défient si fort des jeunes gens, qu’ils ne laissent guère entrer que ceux qui sont morts ou à peu près ; et les comités de lecture, ridicules aréopages, composés de savans, de momies et de rivaux ! J’allais oublier les parvenus, les frères aînés, qui, lorsqu’on leur demande leur appui, vous répondent avec bienveillance : Je n’ai pas le temps ! Heureux encore si leur protection se borne là ! car l’envie est chose commune, voyez-vous ; ivraie malfaisante qui étouffe bien des épis en herbe ! Faites-vous comme vos aînés ? Faible copie ! — Faites-vous autrement qu’eux ? Mauvais système ! — Êtes-vous modeste ? Niaiserie ! — Confiant en vous-même ? Présomption ! — M. Dumas a bien raison de le dire : c’est une vocation ! Et, pour l’accomplir, il faut avoir, comme dit Horace, une ame de diamant dans un corps de fer. Les débuts sont tous ainsi, rudes, âpres ; désespérans. On commence par l’impossible pour arriver au difficile. Que d’exemples on pourrait invoquer ici ! Elles sont rares les renommées qui se font tout d’une pièce, sans obstacles, sans épreuves. C’est une initiation lente, laborieuse, que celle de la gloire. Si donc vous savez un talent ignoré, encouragez-le, applaudissez-le, alors surtout qu’athlète intrépide et lutteur opiniâtre, il se mesure, dans l’ombre et corps à corps, avec la destinée, et prélude par des victoires obscures, mais pénibles, à des triomphes futurs. — On admire le Rhône qui s’échappe de Lyon, comme un cheval de course, pour gagner, entre ses deux rives qu’il éclabousse en passant, l’arène immense de la Méditerranée : moi, je l’aime mieux à son départ, quand, mule patiente et hardie, il descend les Alpes, se penchant sur les précipices, glissant sur les glaces éternelles, pour venir se reposer à la fin du jour dans le lac de Genève, comme dans une prairie azurée. –