Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

obligations sociales, Richard d’Arlington. C’est la première de ses pièces à collaboration ; car elle est antérieure à Térésa, qu’il fit avec M. Anicet. Cette fois, M. Dumas avait pour collaborateur M. Dinaux, homme de conscience, qui conçoit le drame comme un moraliste, mais qui ne l’exécute pas comme un dramaturge ; M. Dinaux, l’auteur, ou plutôt l’inventeur du Joueur, pièce que j’ai eu le tort d’oublier en parlant du drame moderne. De cette rencontre au théâtre de l’homme à simples conceptions et de l’homme à exécution parfaite, de M. Dinaux et de M. Dumas, naquit Richard d’Arlington, l’ambitieux au xixe siècle, l’ambitieux du gouvernement représentatif, qui, enfant recueilli par un honnête docteur, en épouse la fille pour devenir éligible, et la délaisse quand il est député ; qui, député, fait de l’opposition pour se faire craindre, et l’abandonne pour être ministre ; c’est encore une de ces choses qui se voient : mais ici l’exception commence ; — qui, ministre, convoite un mariage d’argent et une aristocratie d’alliance ; — ce n’est pas tout-à-fait là l’exception, — mais qui, sur le point d’épouser un nom et une fortune, rencontre sur son chemin sa première femme, commencement et fin de son rêve, car il s’en défait par un crime qui le perd en l’éveillant.

Autour de cet odieux personnage viennent se grouper trois autres figures, distinctes de caractère, diverses d’expression. D’abord en face de lui Jenny Gray, ange volé au paradis de Walter Scott, et qui n’est pas dépaysé dans celui de M. Dumas, épouse dévouée et discrète, pleurante et résignée. M. Dumas a un faible pour ces femmes-là. Presque toutes les héroïnes de son invention ou de son choix sont des modèles de patience et d’abnégation, servantes de plaisir, esclaves d’amour. Il traite un peu le sexe à la manière de Mahomet et de Manou. Ceci n’est pas un reproche que j’adresse, mais un fait que je signale. C’est que sur ce point, ainsi que sur bien d’autres, M. Dumas a le tort ou le mérite d’exprimer son siècle, et d’en exagérer les infamies. C’est qu’à défaut de raisonnement il y a toujours un instinct conservateur qui révèle aux sociétés les plus corrompues, que là où le lien moral est brisé, la force reste seule, et qu’en matière de gouvernement domestique, on compense aussi le dérèglement de la licence par la brutalité du despotisme.