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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/169

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LITTÉRATURE ANGLAISE.

devenus barbares. Demandez votre chemin à un passant, il vous l’indiquera du doigt. On dit qu’un Français ne pourrait pas raconter une histoire s’il avait les bras liés ; ce peuple a l’instinct dramatique, et supplée par l’action à ce qui manque aux discours.

Nous sommes devenus froids, polis et civilisés ; nous vivons dans une perpétuelle observation des convenances tant dans nos actions que dans nos paroles. Un bon dramaturge est un homme hardi, libre, qui dit ce qu’il pense comme il le pense ; mais où trouver un tel homme de nos jours ? Nous copions servilement le drame français[1]. D’ailleurs nos principaux théâtres sont peu propres à faire ressortir les véritables beautés du drame ; l’esprit, le comique et toute la richesse du dialogue se perdent dans l’espace immense qui sépare la scène des loges ; sur trois mots qu’un acteur prononce, à peine une oreille ordinaire en peut saisir deux, encore l’acteur est-il obligé de forcer sa voix, et d’en exagérer les sons. D’un autre côté, nous sommes devenus trop sages pour jouir avec enthousiasme d’aucun amusement ; on nous en offre de tant de sortes ! Nous sommes de grands critiques : nous savons, ou ce qui est pis, nous prétendons tout connaître, nous jugeons la pièce, nous condamnons les acteurs ; nous allons au théâtre, non pour nous y amuser, mais pour critiquer. L’auteur qui fait un livre trouve du moins un auditoire calme ; le public lui rendra justice, si ce n’est immédiatement, au bout de quelque temps. L’auteur dramatique a une double chance contre lui : il peut être sifflé par la faute des acteurs comme par la faute de sa pièce. Un écueil plus

  1. La décadence du théâtre anglais est réelle, et tout le monde l’a sentie. Une enquête du parlement, à laquelle ont pris part quelques-uns des hommes les plus distingués de l’Angleterre, n’a produit aucun résultat satisfaisant. Il nous semble que les causes véritables de cette décadence sont cachées dans les entrailles même de la société anglaise, dans sa situation politique et morale, dans la liberté constitutionnelle dont elle jouit, et dans la pruderie puritaine qu’elle n’a pas encore abandonnée. Cette liberté a encouragé depuis long-temps, et même sous le roi Charles ii, l’immoralité des spectacles, contre lesquels le puritanisme s’est toujours élevé. Les lobbies de Drury-Lane sont un véritable marché de prostitution. Comme d’un autre côté la décence extérieure des mœurs et le respect des devoirs de famille sont profondément enracinés chez ce peuple, il a dû résulter de cette situation du théâtre que la plupart des gens respectables ont peu à peu abandonné. L’Opéra et l’Opéra Italien ont été patronisés par quelques grands noms et par les hommes à la mode ; mais l’auteur dramatique anglais a manqué de ce puissant stimulant, l’estime publique ; et l’on peut ajouter que les mœurs des hommes qui ont cultivé le théâtre, de Sheridan, de Maturin, de Lewis, n’ont pas été de nature