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pas, ils ne comprennent pas, ils secouent la tête. Nihil hoc ad edictum prœtoris. Ces gens-là ont traversé le moyen-âge sans en tenir compte. Depuis Tribonien, ils ne datent plus. Ce sont les sept dormans qui se sont couchés sous Justinien, et se réveillent au xie siècle. Quand le monde pontifical et féodal invoque le temps comme autorité, les jurisconsultes sourient, ils lui demandent son âge ; cette jeune antiquité de quelques siècles leur fait pitié. Leur religion, c’est Rome aussi, mais la Rome du droit ; celle-ci les rend hardis contre l’autre ; un des leurs s’en va froidement appréhender au corps le successeur des apôtres. Cette lutte, commencée par un soufflet, ils la continuent poliment pendant cinq cents ans au nom des libertés de l’Église gallicane. Ils mettent tout doucement la féodalité en pièces avec leur succession romaine, qui morcèle les fiefs. Ils relèvent la monarchie de Justinien. Ils prouvent doctement aux rois que tout droit est aux rois ; ils nivèlent tout sous un maître.

Dans leur démolition du monde pontifical et féodal les légistes procèdent avec méthode. D’abord ils défendent l’empereur contre le pape, puis ils poussent le roi de France contre le pape et l’empereur. Il ne tient pas à eux qu’en celui-ci ne soit coupée la tête du monde féodal. Ce monde s’en va en morceaux. Quand la France s’élève par la ruine de l’Empire qui s’était dit son suzerain, quand le roi de France, transfiguré de Dieu au diable, de saint Louis à Philippe-le-Bel, commence, sous la direction des juristes, à réclamer la suzeraineté universelle, son vassal d’Angleterre répond pour tous ; il réplique brutalement : Non. Que dis-je ? Il a l’insolence de jeter par terre son seigneur : C’est moi, dit-il, qui suis roi de France.

Alors commence une furieuse guerre. Elle commence entre deux rois, elle continue entre deux peuples. C’est la forte et petite Angleterre qui vient secouer rudement la France endormie. Le sommeil est profond après ce long enchantement du moyen âge. Pour arriver jusqu’au peuple, il faut que l’Anglais passe à travers la noblesse. Celle-ci, battue à Crécy, prise et rançonnée à Poitiers, s’enferme dans ses châteaux ; l’Anglais ne peut l’en tirer, les plus outrageuses provocations suffisent à peine. Cinq ou six fois elle refuse la bataille avec des armées doubles et triples. Alors l’Anglais