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à respecter les lois et à ne pas violer la constitution qu’ils ont jurée librement. M. Guizot a donc complété cette fois son système en déclarant que le peuple n’avait pas eu le choix d’un roi aux journées de juillet, parce qu’on ne fait pas ainsi des rois par la volonté d’un peuple, et que, pour occuper le trône, il faut être appelé à y monter par une volonté d’en haut, être prince, prince né sur les marches de ce trône qu’on veut gravir, en un mot, a dit ingénuement le ministre, parce qu’il faut être du bois dont on fait les rois. L’empereur Nicolas, qui ne passe pas pour un démocrate, répondait d’avance à cette partie du discours de M. Guizot, lorsqu’il se refusait à reconnaître Louis-Philippe, en donnant pour motif que les souverains cesseraient d’être en sûreté chez eux s’ils admettaient une seule fois que leurs cousins ou leurs proches pareils pussent ainsi facilement prendre leurs places. L’empereur Nicolas est de l’avis de M. Dupin, il a reconnu Louis-Philippe, quoique Bourbon ; et M. Dupin, qui n’est pas toujours de son propre avis, a soutenu encore dans cette session, et avec son talent ordinaire, ses opinions de l’an passé. Ce discours de M. Dupin, l’un des plus remarquables qu’il ait prononcés, s’adressait moins à M. Berryer et au parti légitimiste, auquel M. Dupin semblait répondre, qu’à M. Guizot et à ses amis les doctrinaires. M. Berryer était absent de la chambre au moment où M. Dupin monta à la tribune pour le réfuter ; mais le soir, rencontrant son collègue dans un salon, il lui dit gaiement : « On m’a conté ton discours. Il paraît que tu as rudement fustigé Guizot sur mes épaules. » Le président de la chambre, qui ne dissimule pas son antipathie pour les doctrinaires, se mit à rire et ne s’en défendit pas.

L’incident de M. de Broglie et de M. Bignon n’a pas été plus favorable à ce malheureux ministère, qui s’écroule de toutes parts, et qui ne tient encore un peu que par la volonté supérieure qui le domine, et à laquelle il s’est condamné à obéir aveuglément, sans user même du droit de remontrance.

On disait, et nous ne nous faisons l’écho de ces bruits que parce que l’évènement les a bien complètement démentis, on disait, le jour où l’honorable M. Bignon prononça son discours en faveur de la Pologne, qu’il n’avait parlé ainsi qu’à la sollicitation du ministère. On disait encore que nos ministres voulaient avoir une occasion de rejoindre l’opposition sur son terrain, et d’y recueillir quelque popularité par un langage ferme et digne. On ajoutait qu’en jetant ainsi dans la chambre quelques paroles hostiles à la Russie, le ministère se donnerait les moyens de lui faire voter d’urgence les crédits supplémentaires de la guerre ; mais tous ces bruits divers n’étaient pas fondés. Tout le discours de M. Bignon se portait sur ce paragraphe du projet de l’adresse. « La France, en sa qualité